Une nuit sur un train de travaux

sur la LGV Paris-Lyon

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Une nuit sur un train de travaux sur la LGV Paris-Lyon

Transcription :

Un sujet inédit cette semaine sur cette chaîne, je vous emmène sur un chantier de remplacement de traverses sur la ligne à grande vitesse Paris Lyon. Des travaux qui se font bien sur de nuit pour ne pas perturber la circulation des TGV. Je vous propose d'embarquer avec moi à bord d'une bourreuse, l'une des machines qui prend place dans un train de travaux, dont on descendra pour aller observer au plus près le travail des autres engins et des équipes qui s'affairent sur le chantier dans un ballet parfaitement réglé. Comme vous allez le voir dans ce reportage, dès que le signal est donné, chacun se met au travail, en sachant parfaitement ce qu'il a à faire. Au cours de la nuit ce sont plusieurs centaines de mètres de voies qui seront démontées, renouvelées puis remises en place avec une précision de l'ordre du millimètre.

Je vous propose de vivre tout cela en compagnie de Thomas Dumontheil de l'entreprise Colas Rail et de son équipe à bord de leur bourreuse de ligne, une 108 32 U de chez Framafer pour les connaisseurs. Mais justement qu'est-ce qu'une bourreuse, à quoi sert-elle, comment travaille t'elle, quels sont les autres engins qui interviennent avant et après elle sur un tel chantier, je réponds à ces questions et à quelques autres encore dans ce nouveau numéro. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !

Même si les trains de travaux interviennent de nuit sur la ligne la LGV, un tel chantier ne s'arrête jamais vraiment. Dès qu'ils sont de retour du lieu de leur intervention, les engins de travaux sont pris en charge sur une base arrière, par de nouvelles équipes tout au long de la journée. Le premier travail consiste à manoeuvrer les rames pour en trier les éléments les composant. Il s'agit de séparer par exemple les wagons transportant le ballast et les traverses usagées qui ont fait l'objet d'un remplacement dans la nuit, du reste de la rame. Le ballast sera ainsi déchargé des wagons et criblé. Une opération qui consiste à le nettoyer puis à en récupérer les éléments dont le diamètre correspond à la granulométrie prescrite, pour le réutiliser, et à en écarter les autres pour les envoyer au recyclage. Un train de travaux mesure de 500 à 800 mètres de long selon les éléments dont il est composé, une longueur qui est rarement disponible sur les voies des bases arrières ou stationnent les engins entre deux interventions, d'ou les nombreuses manœuvres auxquelles il faut procéder pour rapprocher les wagons de leur lieu de déchargement. Une fois que celui-ci est terminé, les wagons sont chargés du ballast qui a pu être récupéré et d'un complément qui a été livré entre temps. Même chose pour les traverses, les anciennes étant déchargées pour laisser place sur les wagons aux nouvelles. Les trains partent le soir sur le chantier avec de quoi renouveler environ 800 mètres de voies. Les bases arrières sont aussi le lieu où sont entretenus les engins intervenant sur les chantiers. Soumis à de nombreuses contraintes, la poussière, les vibrations, ceux-ci font l'objet d'opérations de révision très régulières, quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles, tout un programme est établi à l'avance et appliqué à la lettre en plus des éventuelles interventions imprévues qui doivent être réalisées pour procéder à de petites ou plus grosses réparations. Ils sont donc isolés du reste du train, le temps que ces différents travaux aient lieu, d'où de nouvelles manœuvres.

Pour le chantier dont il est question dans ce reportage, la base arrière est établie à Saint-Florentin-Vergigny

Saint-Florentin, c'est un nom qui dit quelque chose à ceux qui s'intéressent à l'histoire du TGV Sud-Est. De septembre 1981 à septembre 1983 c'est de là que celui-ci s'élançait sur la ligne à grande vitesse, au départ de la région parisienne avant qu'elle ne soit ouverte en intégralité. Nous sommes en Bourgogne, non loin de Tonnerre où aura lieu l'opération de la nuit prochaine. Sur ce chantier prévu pour durer 4 mois, ce sont environ 30 km de voies qui seront traités. Une fois les wagons chargés, ce sont de nouvelles manœuvres qui commencent en fin de matinée ou début d'après-midi. Pour remettre l'ensemble des engins dans le bon ordre. Par manque de place sur le triage pour ne constituer qu'une seule rame de 800 mètres de long, ce sont deux éléments qui sont formés et stationnés côté à côte avant d'être réunis en un seul en fin de journée en attente du signal du départ qui sera donné vers 21 ou 22 heures.

Tous les éléments composants un train de travaux, même ceux disposant de la capacité de se déplacer de façon autonome sont intégrés à la rame et déplacés en véhicules remorqués jusque sur le site du chantier.

Il n'y a par conséquent que les conducteurs qui se trouvent à bord de la rame lorsqu'elle se déplace entre la base arrière et le début du chantier. Arrivé à destination, les différents éléments qui l'a forment sont détachés les uns des autres pour constituer des unités de travail spécialisées dans une tâche particulière. C'est à partir de ce moment là que les équipes peuvent rejoindre leurs engins. Pas si vite tout de même, car au plus près du chantier, une autre base est aménagée et un premier briefing attend les intervenants aux alentours de 22 heures. Cette autre base est le point de rencontre entre les responsables des entreprises qui font les travaux sur les voies et la SNCF. C'est aussi depuis cet endroit que sont gérés tous les aspects administratifs et touchant à la sécurité sur le chantier. Cette première réunion s'étant tenue, l'ensemble des intervenants se regroupe non loin du point d'accès le plus proche. Il est maintenant environ 22h30. Un nouveau briefing est organisé par le chef de chantier des entreprises prestataires. Sur cette intervention il s'agit d'un groupement constitué par Colas Rail et TSO. Il rappelle les objectifs de travail de la nuit à venir, ainsi que les consignes de sécurité, insistant sur les risques que la pluie qui tombe par averses ce soir là ajoute à ceux habituels liés à un tel chantier. Il ne reste plus qu'à attendre que le signal soit donné pour entrer sur le chantier. Ce soir là, un dernier TGV circule un peu plus tard que l'heure prévue. Il est annoncé par un signal lumineux et un avertisseur sonore qui retenti à deux reprises 40 secondes avant son passage. En raison de la présence du chantier, la vitesse des trains est limitée à 160 km/h. L'accès à la zone de travaux néanmoins possible, mais il est interdit de traverser les voies tant que la simultanée n'a pas été donnée, des trains pouvant encore circuler sur l'autre voie à ce moment là. Ce n'est que lorsque le DAPR, Dispositif d'Annonce par Radio retenti trois fois vers 23 heures ce soir là que le travail peut véritablement commencer. Cela signifie que la simultanée a été obtenue. La simultanée, c'est l'assurance donnée depuis la base travaux qu'il n'y aura désormais plus aucune circulation sur les deux voies. Par ailleurs, une consignation des caténaires est nécessaire pour que certains trains puissent commencer leur travail. Le courant y est donc coupé.

C'est à partir de ce moment-là que tout le monde se met au travail.

A commencer par les ouvrier chargés de la toute première opération sur le chantier. Pour préparer le passage de la première machine ils vont enlever le ballast au niveau de quelques traverses et retirer les tirefonds qui y fixe le rail. Une deuxième équipe va alors procéder à sa découpe. Pour que la tête du train de travaux puisse néanmoins passer sans risque de dérailler, des éclisses provisoires sont utilisées pour refixer les coupons de rail. Les premiers wagons qui circulent à cet endroit sont ceux qui transportent les traverses neuves. Arrive ensuite le P95, qui comprend un portique que l'on verra tout à l'heure en action aller chercher ses traverses pour les poser sur des tapis qui les amèneront jusqu'à l'endroit ou elles doivent être replacées et ramener les anciennes. Il fait se travail en naviguant littéralement sur les wagons. Les éclisses qui maintiennent encore les rails entre eux sont alors enlevées. Des pinces vont pouvoir attraper les rails pour les soulever et les écarter. Ceux-ci se révèlent étonnement souples. Le train continue d'avancer, mais les prochains bogies vont devoir rouler directement sur les traverses. C'est la partie dégarnisseuse du P95, son rôle gratter le ballast qu'elle stocke provisoirement dans un caisson et retirer les traverses. L'opération prend un peu de temps quand il s'agit de la première car la machine doit être réglée très précisément pour qu'elle puisse faire son travail correctement. Une fois qu'elle est lancée, elle avance sans discontinuer. Mais pour l'heure, il reste une autre opération à réaliser avant que le train de chantier ne puisse reprendre son avancée. Les rails sont reposés sur les nouvelles traverses et de nouveau des éclisses sont posées pour rétablir la continuité de la voie. Beaucoup plus tard dans la nuit, la dernière opération que l'on apercevra que de loin parce-que notre train aura bien avancé, consistera à réaliser une soudure Allumino-thermique qui rendra au rail son aspect d'origine, rien ne laissant déceler qu'il a pu être coupé à cet endroit. Le train peut commencer alors à véritablement travailler, grattant le ballast, retirant les traverses une à une, en posant de nouvelles, avant de réinjecter le cailloux entre elles. Le portique commence alors ses incessants va et vient, tandis qu'une pelle rail route qui s'affaire à des finitions sur l'autre voie croise le convoi.

Il est maintenant pas loin de 2 heures du matin, il va être temps pour nous de rejoindre la bourreuse qui a été détachée du reste du convoi et qui va pouvoir commencer son travail.

Cette machine c'est une 108 32 U de chez Framafer, une bourreuse de ligne. Mais elle a aussi un petit nom, comme du reste la plupart des autres engins de travaux. Elle a été baptisée « Cacahuète » par son équipe.

Mousse ! Oui ?

On va se préparer tu remets les groupe à chauffe !

Comme à la grande époque de la vapeur ou mécano, chauffeur et locomotive formaient un trio indissociable, Thomas et son équipe sont affectés de façon permanente à leur machine, à la différence des conducteurs de train qui passent parfois plusieurs fois par jour de l'une à l'autre.

Donc là, on vient d'avoir le signal comme quoi, il va falloire qu'on y aille. Donc, je préviens, ça va secouer !

Sur un atelier de remplacement de traverses comme celui-ci, elle circule après le P95. Son rôle faire du calage, c'est à dire s'assurer qu'après son passage la voie ait le bon dévers, le bon espacement par rapport à la voie contiguë ou par rapport aux poteaux caténaires, en procédant s'il le faut à des opérations de ripage, le déplacement de la voie à gauche ou à droite, et soit placée à la bonne altitude, par des opérations de relevage. Pour qu'une bourreuse puisse travailler correctement, il lui faut s'appuyer sur des relevés topographiques qui lui sont fournis par les équipes du train qui roule devant car après son passage dont la conséquence a été de fortement perturber la voie. Ces relevés sont faits tous les 20 mètres. Transmis au calculateur de bord de la bourreuse, ils vont permettre d'en régler les outils qui pourront ainsi procéder à une première correction des défauts. Le résultat obtenu ne pourra être parfait dès le premier passage, mais le principe étant de ne jamais revenir en arrière sur un tel chantier, Cacahuète transmettra un rapport de son intervention à une deuxième bourreuse qui circule derrière elle, qui se chargera des finitions.

Cacahuète est dotée de deux cabines, la première à l'avant sert à la conduite et aux réglages des appareils, c'est celle dans laquelle nous nous trouvions jusqu'à maintenant, la seconde au milieu comprend un poste de travail avec vue directe sur la voie. C'est là où se tient l'opérateur chargé de commander les équipements.

Ceux ci sont constitués de pinces et de groupes de bourrage qui s'enfoncent dans le ballast plus ou moins profondément selon le type de traverses et de rails, et à intervalle régulier. Le principe est que la machine avance sur une distance équivalente à celle de deux traverses soit un mètre 20, s'arrête, procède à une opération de bourrage, avance de nouveau, s'arrête et ce sans discontinué. Autant dire que dans ce type de bourreuse, on est bien secoué. Le travail des dents d'acier qui s'enfoncent entre les traverses consiste à compacter le ballast de manière à ce que plus rien ne bouge après son passage. Les pinces dont la machine est dotée peuvent alors déplacer les rails pour en assurer le bon positionnement. A l'arrière, des mesures sont faites et enregistrées, elles permettront de constituer un rapport qui sera transmis à la SNCF pour attester de la qualité du travail rendu. Les 800 mètres de chantier de ce jour seront parcourus par Cacahuète en 1 heure environ. Le travail ne pouvant être effectué à la perfection en une seule fois, une seconde bourreuse assurera un deuxième passage. C'est une 109 FRP, toujours produite par Framafer. De conception plus récente que Cacahuète qui a été mise en service en 2010, celle-ci utilise une autre approche. Au lieu de procéder par à-coup, elle avance en continue, ce qui est assurément plus confortable pour ses passagers. C'est un satellite qui se déplace faisant des va et vient entre deux plongées de ses dents d'acier dans le ballast. Après son passage la géométrie de la voie est parfaite, ce genre d'engin étant capable de travailler avec une précision de l'ordre du 10ème de millimètre. Il est bientôt 4 h et demie du matin, il va falloir songer à rendre la ligne à la circulation des TGV. Avant l'arrivée du prochain train, l'équipe a eu le temps de procéder à la soudure de la voie, là où elle avait été coupée au début du chantier. Enfin, un dernier engin qui va passer est une régaleuse stabilisatrice. Celle-ci est de type DGS 82R 2B, et sa mission est de balayer la voie pour en évacuer le surplus de ballast. Elle procède également à sa première stabilisation, son action étant équivalente au passage d'un très grand nombre de trains, comme si elle avait eu à supporter 50 000 tonnes. Autant dire qu'après son passage, la voie est impeccable. Toute trace de travaux en est effacée. Toutefois une LTV, Limitation Temporaire de Vitesse sera maintenue pendant quelques jours encore, les trains réduisant leur vitesse à 160 km/h pour franchir cette zone comme j'ai pu le constater en passant le lendemain du tournage de ce reportage, au même endroit, mais en passager ordinaire du TGV cette fois-ci.

Merci à SNCF Réseau, Colas-Rail et TSO, ainsi qu'à leurs personnels qui m'ont accueilli sur le chantier, merci à Thomas Dumontheil et son équipe sans qui le tournage de ce reportage n'aurait pas été possible, dites-moi en commentaires si vous soupçonniez qu'une telle activité pouvait se dérouler la nuit sur les Lignes à Grande Vitesse, si vous avez déjà eu l'occasion d'observer de tels chantiers. Je vous lis et vous retrouve la semaine prochaine pour partager avec vous de nouvelles découvertes ferroviaires.










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