Pourquoi certaines gares
ont des numéros de voies si étranges ?
Pourquoi certaines gares ont des numéros de voies si étranges ?
Transcription :
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, dans certaines gares françaises, la numérotation des voies n'a apparemment aucun sens ? Pourquoi dans celle-ci la voie 1 côtoie la 3 ? Que fait la A juste à côté ? D'ailleurs pourquoi des chiffres ou des lettres ou un mélange des deux ? Pourquoi diable la voie la plus proche de l'entrée porte parfois le numéro 2 et pas le numéro 1 ? Mais où peuvent bien se trouver la voie numéro 55 et celles dont la numérotation précède, elles n'ont pas l'air d'exister ? Sans parler de la voie 9 ¾, celle-là, c'est normal, elle est réservée aux initiés ! Aujourd'hui, je vais essayer de percer l'un des mystères les mieux gardés du monde des chemins de fer pour m'efforcer de comprendre cette bizarrerie bien française. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Je suis donc parti pour une grande enquête.
Prendre le train, c'est parfois un peu une aventure, surtout pour ceux qui n'en n'ont pas trop l'habitude, alors on vérifie plusieurs fois son billet histoire d'être sûr de la date et de l'heure du départ et on se présente à la gare, et là, première épreuve, il faut trouver la voie depuis laquelle on partira. En France on a fait le choix de ne l'afficher que 20 minutes en avance pour d'une part éviter l'encombrement des quais et d'autre part pour s'autoriser une plus grande flexibilité dans la gestion du trafic. Dans d'autres pays, cette information peut parfois être connue très longtemps à l'avance, c'est le cas en Allemagne ou en Suisse, mais c'est au risque d'annonces de changement de dernière minute, au moindre incident : le retard d'un train notamment. Chez beaucoup de nos voisins, la tendance est également au raccourcissement de ces délais pour les trains longues distances en particulier. Il s'agit d'une évolution que l'on constate en Grande-Bretagne, en Espagne ou encore en Italie. Ces délais courts ne laissent que peu de temps pour errer dans la gare à la recherche de sa voie de départ. Pas grave, me direz-vous, il suffit de savoir lire et compter et d'être un peu observateur, pour s'en sortir facilement. Hé bien, rien n'est moins sûr ! Déjà selon toute logique, le numéro de la voie la plus proche du bâtiment voyageur devrait être le 1, et c'est loin d'être toujours le cas. Mais alors pourquoi ?
À cette première question correspond une première règle assez claire qui remonte très loin dans l'histoire des chemins de fer puisqu'elle a été adoptée par la plupart des grandes compagnies qui ont précédé la SNCF. Le principe est simple : dans les gares de passage, on donne un numéro impair aux voies sur lesquelles circulent les trains qui s'éloignent de leur gare d'origine, c'est-à-dire celle où ils ont commencé leur parcours, et un numéro pair à celles sur lesquelles roulent les trains qui y retournent. Ne cherchez pas trop, en France, le réseau ferré a la particularité d'avoir été créé en étoile, autour de Paris. Cette conception s'appelle l'Étoile de Legrand. Par conséquent, quand on parle de gare d'origine, on veut le plus souvent dire Paris. Les voies principales sur lesquelles circulent les trains tournant le dos à la capitale portent donc des numéros impairs et celles sur lesquelles ils roulent dans sa direction un numéro pair. Par conséquent, en fonction de la configuration de la gare et en particulier de l'endroit où a pu être construit le bâtiment voyageur, ce n'est pas forcément la voie numéro 1 qui se trouvera sur le premier quai, mais cela peut être la 2.
Mais attention, avant d'en déduire que dans telle ou telle gare il est probable que ce soit la voie nᵒ 1 ou la voie nᵒ 2 qui se trouve le plus près du bâtiment voyageurs, pensez à intégrer à votre raisonnement le fait que les trains roulent à gauche, donc si votre sens de l'orientation est suffisant pour vous permettre d'identifier de quel côté de la gare se trouve la direction de la capitale, vous devriez vous en sortir à condition de bien intégrer ce paramètre. Alors évidemment, sous l'influence de l'évolution du trafic, de premiers éléments perturbateurs sont venus modifier cet ordonnancement. Le nombre de voies a par endroit dû être doublé. Ont ainsi été créées des voies 1 bis et 2 bis, voir, mais c'est plus rare, des voies ter, mais jusque là tout va bien, ces voies ayant été placées dans l'ordre, du moins à l'origine, les unes à côté des autres.
Mais mes remontées du terrain à la suite de ma grande enquête m'ont amené à constater que dans certaines gares, ce sont non pas des chiffres, mais des lettres qui servent à identifier les voies.
Alors, de nouveau, pourquoi ?
Cette nouvelle interrogation m'a conduit à une deuxième règle dont j'ai pu débusquer l'existence dans l'un des nombreux documents internes de la SNCF. Elle concerne elle aussi prioritairement les gares de passage. En fait, il y a différentes raisons à l'utilisation de lettres plutôt que de chiffres. D'une part, plusieurs lignes principales peuvent les traverser, on se retrouve alors en entrée de celles-ci avec possiblement plusieurs voies 1 et voies 2, chacune appartenant à sa propre ligne. Pour masquer cette potentielle complexité aux yeux des voyageurs, on les renumérote donc dans la gare à l'aide de lettres plutôt que d'avoir à préciser qu'il y a une voie 1 sur laquelle circulent les trains en provenance de telle gare, et une autre voie 1 pour ceux en provenance d'une autre gare. Mais l'utilisation des lettres a aussi une autre signification. Elle permet de distinguer des voies que l'on dit « banalisées » des autres. Une voie banalisée est une voie sur laquelle les trains peuvent rouler indifféremment dans un sens ou dans l'autre. Évidemment cela remet en cause la règle établie au point numéro 1 qui sous-entendait que les voies étaient toujours parcourues dans le même sens. Cette pratique est devenue courante dans les grandes gares. Dans de plus petites, vous pourrez être amenés à remarquer que des trains déposent leurs voyageurs sur un quai le long d'une voie impaire par exemple, et vont partir faire demi-tour plus loin pour revenir prendre de nouveaux passagers et repartir dans l'autre sens, depuis une voie au numéro pair.
Malgré cette nuance, mes observations de terrain m'ont amené à constater l'existence d'une troisième règle qui veut que, en principe, les voies identifiées à l'aide de lettres le soient plutôt par les premières de l'alphabet. À la fin de celui-ci, on va ainsi pouvoir puiser des lettres qui serviront à nommer des voies de service : par exemple : S pour sas, ou T pour tiroir, dans les deux cas il s'agit de voies en impasse, c'est-à-dire qui se terminent par un heurtoir. Les premières sont plutôt utilisées pour des manœuvres, les secondes pour garer des rames courtes comme des autorails qui font leur terminus dans une gare, d'où ils repartiront dans l'autre direction. Ces dernières se trouvent souvent de part et d'autre du bâtiment voyageur. Mais il existe aussi en termes de désignations des voies par des lettres quelques curiosités. J'en ai trouvé une dans la très petite halte de Morbier dans le Jura. Aménagée directement sur la ligne principale qui ne comprend qu'une seule voie, elle est appélée « U » pour signifier très probablement « voie unique ». Cela ne veut évidemment pas dire qu'une vingtaine d'autres voies auraient existé ici en d'autres temps et que seule celle-ci aurait subsisté. Notez bien que l'on parle ici de halte et pas de gare. Il existe une différence entre les deux : pour que l'on puisse parler d'une gare, il faut que le point du réseau concerné offre la possibilité de réaliser un minimum d'opérations techniques et/ou de sécurité. Il peut s'agir de voies permettant le croisement ou le stationnement de trains, ce qui suppose la présence d'un ou plusieurs aiguillages et d'un minimum de personnel pour les manœuvrer.
Mais je reviens aux résultats de mon enquête de terrain. Ce que je vais énoncer maintenant n'est pas vraiment une règle, mais plutôt un constat. Si dans les gares les plus récentes, la numérotation des voies reste très cohérente, l'application d'une numérotation logique semble inversement proportionnelle à l'âge de la gare. Dans celle relativement récente de la Part-Dieu par exemple, les voies sont numérotées alphabétiquement dans un ordre impeccable que la création d'une 12ᵉ voie très récemment, puisqu'elle a été inaugurée en juin 2022, n'a en rien perturbé. Elle a naturellement pris la suite des autres et été baptisée « L » dans la continuité de la numérotation existante. En revanche, à la gare de Lyon-Perrache, déjà plus ancienne, vous ne monterez jamais dans un train depuis la voie B, et pour cause, celle-ci n'existe tout simplement plus ! Il faut également vous attendre à réaliser un très long parcours pour aller chercher certains TER à destination de Saint-Étienne, qui se trouvent sur les voies J et K qui, bien que dans la continuité du reste de la numérotation, ne sont pas parallèles aux voies A à I, mais vous obligeront à suivre un long cheminement pour aller les chercher dans une quasi-gare annexe. Autant le savoir, parceque si vous arrivez un peu juste à la gare, c'est un coup à manquer votre train !
Mon enquête de terrain se poursuit, et va m'amener à m'intéresser maintenant à un nouveau type de gares, celles dites terminus. Et là, je fais de nouvelles découvertes. Bien sûr ici la notion de sens de circulation perd toute signification puisque les trains arrivent et partent du même endroit et de la même voie. Dans ce type de gares, la logique de numérotation des voies est donc assez différente de celle pratiquée dans les gares de passage. À celle de Lyon à Paris, vous trouverez dans le hall 1 des voies numérotées de A à N, mais point de B ou de F, et dans le hall 2, des voies numérotées de deux en deux de 5 à 23 de sorte qu'il n'y a que des voies aux numéros impairs. Mais ne cherchez pas les voies 1 à 4, elles n'existent plus ! D'après mes recherches, la première aurait été supprimée il y a bien longtemps, dans les années 30, pour permettre l'élargissement d'un trottoir, les autres ont été victimes des réaménagements de la gare réalisés pour y accueillir le TGV au début des années 80. Trop courtes pour la longueur de ces nouveaux trains, elles ont purement et simplement été supprimées. Plus tard, leurs numéros ont finalement été réaffectés aux voies de la gare souterraine quand elle a été construite pour accueillir dans un premier temps le RER A, puis le D. On trouve sur l'un des quais les voies 1 et 3, sur l'autre les voies 2 et 4. Mais ce genre de réaffectation d'un numéro de voie est plutôt rare, car il s'agit toujours d'opérations complexes. Il faut imaginer que la circulation des trains est régie par un nombre impressionnant de textes règlementaires et techniques qui s'empilent les uns sur les autres. Apporter la moindre modification à cette documentation relèverait d'un travail de titan et le moindre oubli pourrait se révéler extrêmement fâcheux. Sans compter les conséquences sur le terrain. Dans les postes d'aiguillage notamment, où ces modifications devraient être répercutées. Sans compter le facteur humain qu'il ne faut jamais négliger, surtout dans le domaine de la sécurité ferroviaire. Des habitudes acquises par des années de pratique pourraient conduire à des erreurs aux conséquences très graves, si celles-ci venaient à être changées. Mais mon enquête m'a montré qu'il existe encore une fois des contre-exemples, et la gare de Bourg-en-Bresse en est un. Pour simplifier un plan de voies qui était devenu assez illisible pour les voyageurs lambda, et aussi parcequ'il existait de fréquentes confusions entre les numéros des voies de la gare SNCF et ceux des quais de la gare routière, à l'été 2024 une homogénéisation des numéros de voies a été réalisée. N'espérez pas pour autant y trouver logiquement la voie 1 ou la voie 2 face à vous dès votre entrée dans la gare, celles réservées aux voyageurs sont désormais numérotées de 31 à 37, mais au moins, la continuité de la numérotation est respectée !
Toutes ces observations faites sur le terrain m'amènent à édicter une nouvelle règle : la seule qui vaille sans doute au final. Il ne faut pas chercher trop longtemps de logique à la numérotation des voies dans les gares. Celle-ci a plus été conçue à l'intention de ceux qui y travaillent qu'à celle des usagers, et le plus souvent elle résulte de strates qui se sont déposées à différentes époques, au fil des travaux qui ont été réalisés pour adapter les gares aux diverses évolutions qu'elles ont connues. Création, et malheureusement plus souvent encore suppressions de lignes. Création du RER, arrivée du TGV, évolution du matériel roulant qui voit les rames tractées petit à petit disparaître au profit d'automotrices qui n'ont pas besoin de manœuvrer pour pouvoir partir dans le sens opposé sont autant d'occasions de remanier les gares et leurs plans de voies, conduisant parfois à créer des trous dans leur numérotation. Les voyageurs n'ont donc pas fini de s'étonner et de rechercher une logique à tout cela. Sans compter qu'une nouvelle organisation a commencé à entrer en vigueur dans certaines gares. Elle s'appelle « Deux trains sur une même voie » (2TVM en langage cheminot), je vous l'explique dans cet autre reportage que je vous laisse regarder pendant que je poursuis mon enquête dans l'espoir de découvrir enfin dans quelle gare se trouve la fameuse voie 9 ¾.
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