Première Mondiale
au MOB
Première Mondiale au MOB
Transcription :
Passer de l'écartement métrique à celui standard, ou l'inverse en quelques secondes et sans avoir à s'arrêter, c'est la prouesse technique à laquelle se livre huit fois par jour depuis quelques mois en gare de Zweisimmen, le Golden Pass Express, sur les voies du MOB, la compagnie du Montreux Oberland bernois. Et c'est une première mondiale ! Elle se produit en Suisse, sur la ligne reliant Montreux à Interlaken, deux villes qui sont désormais reliées directement entre elles sans que les passagers n'aient besoin de changer de train en cours de route. Un vieux rêve pour les suisses, de toutes nouvelles perspectives pour l'industrie ferroviaire qui pour la première fois de son histoire est parvenue à effacer la frontière entre chemins de fer de montagne et grandes lignes, deux mondes qui jusqu'ici étaient plus habitués à coexister, qu'à cohabiter.
Cet hiver, un an après le lancement de ce nouveau service, j'ai pu me rendre sur place pour aller constater sur le terrain comment tout cela fonctionnait. Dans ce nouveau reportage, je vous explique ce qu'il en est, je vous dis quelques mots du MOB, des perpectives qu'ouvrent cette petite révolution technologique et comment l'entreprise française Alstom a été associée à cette première mondiale. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
L'exploit se produit à mi-chemin, en gare de Zweisimmen. Lorsque les trains circulent dans le sens Montreux-Interlaken, c'est juste avant l'arrêt en gare qu'ils franchissent ce dispositif très particulier modifiant le positionnement des roues de leurs bogies pour les faire passer de l'écartement d'un mètre en vigueur sur les lignes de montagne, à celui d'un mètre quatre-cent-trente-cinq sur les lignes principales où une plus grande vitesse est permise et inversement dans l'autre sens de circulation. Une modification conséquente puisqu'elle représente une variation de 43 %. Mais ce n'est pas la seule opération à laquelle ce train se livre au passage. La hauteur des quais n'étant pas non plus la même entre les deux types de réseaux, celle des caisses des voitures emmenant les voyageurs est modifiée de 20 cm par la même occasion. La combinaison de ces deux opérations est totalement inédite dans le monde ferroviaire. Enfin, la tension qui alimente la caténaire étant également différente, elle est modifiée en gare en fonction des locomotives qui sont présentes sur les voies. En effet, les machines restent cantonnées à la voie métrique pour les unes et standard pour les autres. Concevoir un bogie qui serait capable de modifier l'écartement de ses roues comme le font ceux installés sous les voitures s'avérant autrement plus complexe du fait de la nécessité d'y loger en plus des moteurs. A l'arrivée du Golden Pass Express en gare de Zweisimmen, il est par conséquent procédé à un changement de machine, ce qui s'appelle un relais traction. Une opération qui se pratique couramment probablement depuis les origines du monde ferroviaire.
Nous allons aller voir sur le terrain comment ces différentes manœuvres se passent.
Rendons-nous à Montreux, pour y prendre l'un des trains qui précédera le Golden Pass Express en gare de Zweisimmen. Le voyage sera l'occasion de vous dire quelques mots du MOB et nous pourrons à l'arrivée, à loisir, observer l'opération de changement d'écartement depuis le quai.
Le MOB, c'est le Chemin de Fer Montreux Oberland bernois. Il a son siège et sa gare principale à Montreux, une petite ville balnéaire située à l'une des extrémité du Léman sur la Riviera Vaudoise. La musique y tient une place toute particulière. On connaît son célèbre festival de jazz, mais dans un tout autre style, c'est aussi là que le groupe Queen est venu enregistrer ses deniers albums. L'Oberland bernois, est une région qui se situe dans le sud du canton de Berne. C'est aussi la plus élevée en altitude. Zweisimmen se trouve à 947 mètres, et le point culminant de la ligne, Schöenried, près de Gstaad à 1275 mètres. La gare de Montreux a la particularité d'être partagée entre trois compagnies et trois écartements. Les premières voies sont utilisées par les CFF, les Chemins de Fer Fédéraux Suisses, pour circuler sur la ligne à voie normale du Simplon reliant Lausanne à Brigue. Celles du MOB se trouvent plus au fond. Parmi elles, les voies métriques de la ligne partant vers Zweisimmen, et enfin celles à l'écartement plus inhabituelle de 800 mm de la ligne des MVR (transports Montreux Vevey Riviera, anciennement Montreux - Glion - Naye) conduisant aux Rochers-de-Naye, qui est desservie par des trains à crémaillère sur une rampe atteignant par endroit les 220 pour mille. Mais de tout temps, la liaison phare du MOB a été la relation Montreux-Interlaken, car elle dessert un axe très prisé par les touristes. Ce sont des aristocrates anglais venus pratiquer l'alpinisme dans la région de la Jungfrau qui, subjugués par la beauté des paysages traversés, dont les arbres en automne revêtaient une couleur dorée, lui ont donné son surnom de Golden Line, dès le début du XXe siècle.
Aujourd'hui encore, l'un des trains circulant régulièrement sur cette ligne du MOB rappelle cette épopée, il s'agit du Golden Pass Belle Époque et on va monter à bord.
Relier Montreux à Lucerne par le train est un rêve que les suisses ont caressé de longue date. Dès 1873 cette idée est évoquée alors même que le MOB n'existe pas encore. L'entreprise n'inaugurera son premier tronçon de voie qu'en 1901 entre Montreux et les Avants qu'elle construisis à l'écartement métrique, mieux adapté aux lignes de montagne et directement en traction électrique. Ce sont des hôteliers implantés aux Avants qui en sont à l'origine. En 1905, la ligne est prolongée jusqu'à Zweisimmen. Dans le même temps, une autre entreprise privée crée la liaison ferroviaire Lucerne-Brienz également à l'écartement métrique, qui sera prolongée jusqu'à Interlaken en 1916, tandis que les derniers tronçons sont établis par une troisième entre Interlaken et Zweisimmen mais à l'écartement standard cette fois-ci. Il est donc techniquement possible de voyager en train de Montreux à Lucerne, mais cela se fait au prix de deux changements. Le tourisme se développant dans l'entre-deux-guerres, l'idée est lancée de permettre une relation directe en posant un 3e fil de rail entre Zweisimmen et Interlaken. Mais ce projet ne verra jamais le jour en raison de coût jugés trop importants, et d'une trop grande complexité technique induite pour la traversée de certaines gares du parcours. Le MOB se tourne alors au début des années 90 vers l'entreprise Espagnole Talgo qui a mis au point des rames à écartement variables pouvant passer de celui large en vigueur en Espagne d'1m 674, à celui international d'1m 435 soit une différence de 24 cm, mais l'entreprise déclare forfait, le besoin en Suisse étant de faire varier l'écartement de 43 cm. Des études sont alors relancées pour la pose d'un 3ème rail, mais les conclusions sont les mêmes que les précédentes. Trop cher et trop complexe.
Vous pensiez que les Suisses allaient abandonner ? Et ben, c'est bien mal les connaître !
En 2008, le nouveau patron du MOB revient à la charge. Puisqu'il paraît définitivement impossible de modifier la voie, c'est le train lui-même qui le sera ! Il présente alors un concept révolutionnaire : un nouveau système de bogie à écartement variable dont il montre même à son auditoire médusé une maquette fonctionnelle au 1/10. Le seul point sur lequel il a un peu pêché par excès d'optimisme, c'est la date de mise en œuvre qu'il fixe à 2012. Il y a un effet un monde entre la voie métrique et la voie normale, et ce qui sépare les deux univers n'est pas seulement lié à une question de largeur de rail. C'est aussi un gabarit différent. Par définition, la largeur de celui-ci étant inférieur à celui du matériel à voie normale, ce ne sera pas un problème particulier. En revanche, la hauteur des quais n'est pas la même : 35 cm en voie métrique, 55, en voie normale. Non-content de pouvoir s'écarter, le bogie devra donc aussi s'élever. Mais ce n'est pas tout, les systèmes d'attelage et de freinage, l'intercirculation entre les voitures, l'alimentation électrique pour ne citer que ces quelques domaines sont également traités de manière radicalement différente dans ces deux mondes ferroviaires. La solution passera donc par la conception d'un tout nouveau type de train, mais aussi par l'amélioration du prototype de bogies mis au point par le MOB. Celle-ci sera confiée aux ingénieurs de chez Alstom.
Après une longue période d'essais, le Golden Pass Express est inauguré le 22 décembre 2022.
Comme les ingénieurs du MOB s'y attendaient un peu, s'agissant d'une première mondiale tout n'a pas été parfait dès le départ, et les circulations du Golden Pass Express ont très vite dues être interrompues en raison d’un comportement anormal sur les aiguillages de la portion de voie a écartement standard. Le problème ayant pu être résolu par une modification de quelques millimètres de l'écartement des roues, depuis le mois de juin 2023, ce train circule désormais régulièrement au rythme de 4 allers-retours chaque jour. Trois rames tournent sur la ligne, une 4ème étant en réserve ou en maintenance. Chacune d'elle est composée de 4 voitures sur la partie Montreux-Zweisimmen, une 5ème au-delà. Une voiture à plancher bas, en cours de livraison à la date de la diffusion de ce reportage viendra compléter les rames dès l’été 2024. Dans le détail, sur la première partie du parcours les trains sont composés d'une locomotive de type 8000, d'une voiture pilote dans laquelle des passagers peuvent prendre place dans un espace dit « Prestige » ou en seconde classe, d'une voiture de 2nde classe, d'une autre également de 2nde classe et d'une voiture mixte, première classe, Espace Prestige, cabine de conduite. A l'origine du projet, une voiture restaurant était prévue, mais il a fallu y renoncer. La reprise des bogies par Alstom a conduit à un alourdissement du poids de ceux-ci d'une tonne par rapport à ceux d'origine, soit 2000 kg par voiture, qu'il a fallu compenser au niveau de l'ensemble de la rame, en l'amputant de son restaurant. Sur la seconde section du parcours, une 5e voiture de 2e classe est ajoutée. Elle sert d'interface entre la rame monobloc du MOB et la locomotive des BLS qui va la tracter jusqu'à Interlaken, les systèmes de tamponnement et d'attelage en vigueur sur la section à voie normale n'étant pas les mêmes que sur la section à voie métrique. A terme, lorsque les voitures à plancher bas auront été livrées, chaque train pourra transporter 184 passagers sur la première partie du parcours et 238 sur la seconde.
Mais nous voici arrivés à Zweisimmen, il est donc temps de descendre du Golden Pass Belle Époque qui ne pouvant poursuivre sa route est garé en impasse dans la partie de la gare réservée à la voie métrique, pour aller observer depuis les quais le passage d'un Golden Pass Express sur la rampe de changement d'écartement.
Le MOB partage la gare de Zweisimmen avec les BLS, une autre compagnie privée qui elle possède le plus grand réseau ferré de Suisse après celui des CFF. Le Golden Pass Express est d'ailleurs exploité conjointement par les deux entreprises, la première pour la partie voie métrique en montagne, la seconde sur le réseau à voie normale. Dans cette gare, les trains de l'une et l'autre compagnie n'ont d'autre choix que de rebrousser chemin puisque le changement d'écartement des rails ne leur permet ni aux uns, ni aux autres d'aller plus loin. Le premier Golden Pass Express qui se présente vient d'Interlaken et est donc à destination de Montreux. Il est reçu sur l'une des deux voies équipées du double écartement pour permettre aux locomotives à celui métrique de traverser la gare, et du dispositif de changement d'écartement qui ne concerne que les voitures. Ce sont les voies 6 et 7. Dans ce sens, le train arrivant d'Interlaken va d'abord assurer la desserte de la gare. Pendant ce temps, la locomotive, une RE 465 des BLS et la voiture qui sert d'interface vont être décrochées de la rame et partir stationner un peu plus loin sur une voie en impasse qui a été spécialement créée pour l'exploitation du Golden Pass Express. Le courant dans la section de la caténaire située à l'avant du train et conduisant vers le sas, est à ce moment-là du 15 000 volts 16,7 Hertz, alternatif. À l'arrière de la composition, une machine du MOB qui stationnait sur une impasse située celle-ci à l'autre extrémité de la gare, va venir se positionner pour assurer la pousse du train. Sur les quelques centaines de mètres de voie qu'elle va parcourir pour cela, le courant dans la partie de la caténaire située entre le tiroir et l'arrière du train a été basculé en 900 volts, courant continu. À ce moment-là, le train est toujours en configuration voie normale, c'est-à-dire surélevé d'une 20 aine de centimètres par rapport à ce qu'il sera une fois repassés à l'écartement métrique. Un système de vérins pneumatiques permet de compenser, le temps de réaliser l'attelage, cette différence de niveau. A distance, le dispositif de changement d'écartement est mis en situation de permettre la réduction de la largeur des bogies. Une fois cette opération réalisée et l'itinéraire tracé à l'avant du train pour que celui-ci puisse partir en direction de Montreux, le courant est basculé en 900 volts continu également dans cette autre section de la caténaire. Le conducteur qui s'est installé dans la cabine de la voiture pilote côté Montreux commande la sortie de bras qui permettront aux caisses des voitures momentanément désolidarisées de leurs bogies de faire prendre en charge leur poids par un rail dédié à cet effet, libérant de leur poids les bogies pendant qu'un système de guidage les entraîne vers un retour à l'écartement métrique et font descendre les caisses des voitures, d'une 20 aine de centimètres. La durée totale des opérations n'aura pas dépassé les 8 minutes. Le train va maintenant s'engager sur le dispositif de changement d'écartement et le franchir à 15 km/h maximum. Une fois celui-ci dégagé, les bras sont repliés et le Golden Pass Express pourra reprendre de la vitesse. La rampe de changement d'écartement en gare de Zweisimmen est remis en position de repos.
Quelque temps plus tard, un second Golden Pass Express se présente mais dans l'autre sens cette fois-ci.
Le ballet va donc recommencer. Les dispositifs de la rampe de changement d’écartement sont mis en place pour permettre le passage à l’écartement standard des bogies. Le signal d'entrée en gare indique au conducteur qu'il peut sortir les bras d'écartement, mais que sa vitesse est dès lors limitée à 15 km/h. La rame franchit la rampe. Les bogies sont écartés à tour de rôle, en même temps que la hauteur des caisses des voitures est rehaussée de 20 cm. L'opération ne dure que quelques secondes. Les passagers à l'intérieur du train ne se rendent compte de rien. Celui-ci s'arrête en gare. La voie est alimentée en 900 volts courant continu, ce qui permet à la locomotive située en tête de se dételer de la rame pour aller stationner dans l'impasse qui lui est réservée. L'alimentation est alors basculée sur 15 000 volts courant alternatif, ce qui permet à la machine du BLS de manœuvrer à son tour. Elle pousse la voiture interface qui va venir s'atteler au reste de la rame. Les machines étant toujours tournées vers Zwisimmen, le conducteur s'installe dans la cabine de la voiture-pilote. C'est maintenant du personnel des BLS qui prend en charge le train. Moins de 8 minutes plus tard, c'est l'heure du départ. Juste derrière la cabine de conduite, une grande baie vitrée permet de profiter de la vue sur la voie depuis l'espace réservé à la classe Prestige, lequel est surélevé d'une quarantaine de cm et compte des sièges grand confort chauffant et toujours orientés dans le sens de la marche, mais dans l'ensemble du train, quelque soit la classe, toutes les places offrent une vue panoramique au travers de larges baies vitrées. Tout le monde peut ainsi profiter des bénéfices apportés par le Golden Pass Express. Le tarif est d'ailleurs le même que celui pratiqué à bord de n'importe quel autre train, les titres de transport habituels sont acceptés, abonnements, ½ tarif ou cartes journalières pour les citoyens suisses, Swiss Travel Pass pour les touristes ou autre visiteurs étrangers. La réservation d'un siège est simplement fortement recommandée en 1ère et 2ème classes, obligatoire en classe Prestige. Malgré l'absence d'une voiture restaurant, il est possible de déjeuner à sa place en 1re et en classe Prestige. Avec tout ça, on se dit que l'on resterait bien un peu plus longtemps que les 3 heures que dure le trajet entre Montreux et Interlaken, ce qui sera peut-être possible un jour, car souvenez-vous, le rêve des Suisses depuis plus d'un siècle est de pouvoir faire le trajet complet jusqu'à Lucerne, sans avoir à changer de train. Il faudrait pour cela équiper la gare d'Interlaken du même dispositif que celui installé à Zweisimmen, puisqu'au-delà, une troisième compagnie, la Zentralbahn prend le relais, de nouveau sur de la voie métrique, mais ajoute au passage un petit défi supplémentaire : l'usage d'une crémaillère sur plusieurs sections du parcours qui rend aujourd'hui inutilisables les bogies à écartement variable.
Je serai curieux de savoir quelles solutions les ingénieurs suisses vont inventer pour contourner ce problème. Et vous, qu'en pensez-vous ? Dites le moi en commentaires ! Et puisque nous sommes arrivés à la fin de ce reportage à Interlaken, je ne peux que vous inviter à poursuivre le voyage jusqu'à la Jungfrau toute proche et à découvrir l'histoire de cette incroyable ligne, que je vous raconte dans cet autre reportage !
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