Le Mont-Blanc Express
versant Suisse
Le Mont-Blanc Express versant Suisse
Transcription :
Le Mont-Blanc Express, c'est un service ferroviaire qui est assuré conjointement par la SNCF côté français et Les TMR Transports de Martigny et Région en Suisse. En 52 km la ligne permet de relier la gare de Saint-Gervais-Les-Bains-Le-Fayet en Haute-Savoie à celle de Martigny dans le canton du Valais en passant par Chamonix et Vallorcine. C'est là que je vous avais laissé à la fin de la première partie de ce reportage consacré à cette ligne dont il nous reste à parcourir le versant Suisse. Ici les courbes sont beaucoup plus serrées, les tunnels plus nombreux, le troisième rail cède la place à un fil de contact et il existe même une section à crémaillère sur laquelle la pente atteint la valeur de 200 pour mille. Quant aux paysages traversés, leur qualité reste exceptionnelle.
Je vous propose de parcourir cette deuxième partie de la ligne en cabine, Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Pour la suite de mon voyage, j'ai rendez-vous avec David Bertolini, en gare de Vallorcine. Si certaines des rames mises en service pour assurer le Mont-Blanc Express parcourent l'intégralité de la ligne, les conducteurs sont systématiquement relevés dans cette gare. Ici, les agents de la SNCF ne sont en effet habilités à circuler que sur le territoire français, quant aux mécaniciens suisses, même s'ils ne roulent que sur 3 km sur le sol hexagonal, il leur faut pour se faire obtenir la licence européenne de conducteur de trains, mais ils ne sont pas pour autant autorisés à poursuivre au delà. Le jour de ce tournage, en raison des fortes chaleurs l'interconnexion entre les réseaux a été suspendue. Tous les voyageurs qui souhaitent poursuivre leur trajet, doivent par conséquent changer de train, et attendre pour se faire quelques instants l'arrivée d'une rame en provenance de suisse. C'est celle conduite par David qui vient d'arriver d'une première course réalisée depuis Martigny qui va assurer la correspondance. David ne dispose ainsi que d'une 10 aine de minutes pour changer de cabine et effectuer les différentes opérations nécessaires avant de pouvoir repartir dans l'autre sens.
Sur le Mont-Blanc Express plusieurs types de matériels roulants co-existent. En fonction de leurs équipements ils sont à même de circuler sur tout ou partie de la ligne.
Ce sont les Z 800, 850 et 870. Les premières ont été commandées conjointement par la SNCF et les TMR à un consortium constitué des entreprises Vevey Technologies, AD Tranz et SLM. Il s'agit d'automotrices panoramiques à crémaillère constituées de 2 caisses. Equipées d'un pantographe et de frotteurs, elles sont à même de parcourir l'ensemble de la ligne. Elles ont été livrées en 1997. La France en possède 3, la Suisse, 2. Les Z 850 ont été commandées à Stadler exclusivement pour les besoins de la SNCF qui a pu remplacer ainsi la série des 8 Z 600 qu'elle exploitait depuis 1958. Les automotrices de la série des Z 850 ressemblent beaucoup à celle des Z 800, mais elles se distinguent par le fait que les rames sont constituées de 3 caisses. Elles sont également dotées d'un pantographe et de frotteurs, et de ce fait peuvent circuler des deux côtés de la frontière, mais pas au-delà de la gare de Salvan puisque dépourvues de système à crémaillère. Concrètement, elles se contentent de circuler jusqu'à Vallorcine. Elles sont arrivées sur la ligne en 2005. Quant aux Z 870, ce sont les mêmes que les Z 850, mais équipées de la crémaillère. Deux de ces rames sont en la possession des TMR dont elles ont rejoint le dépôt en 2011. Au printemps 2022, la SNCF et les TMR ont passé une nouvelle commande commune à Stadler pour une série de 7 nouvelles rames. 3 pour les suisses, 4 pour les français. Il s'agira d'automotrices constituées de 2 caisses, à plancher bas intégral pour assurer une totale accessibilité aux personnes à mobilités réduites. Elles seront toutes équipées de la crémaillère pour être en capacité de circuler d'un bout à l'autre de la ligne.
La liaison internationale régulière appelée Mont-Blanc Express a été établie à partir de 1997, même si dès 1957 et l'arrivée de matériels roulants compatibles des échanges existaient déjà entre les deux pays. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit de deux lignes distinctes qui ont chacune leur personnalité.
Même si elles présentent bien des points communs qui ont permis de les interconnecter, ces deux lignes ont été conçues avec des objectifs bien différents. La section française a été établie par le PLM entre Saint-Gervais et Châtelard Frontière, selon les normes en vigueur pour les chemins de fer d'intérêt généraux. Il s'agissait de désenclaver la vallée de Chamonix. Du côté de la Suisse, la motivation était très différente. C'est une entreprise privée le Martigny-Châtelard qui l'a entreprise à des fins touristiques. A sa tête des banquiers Genevois qui souhaitaient offrir un accès aisé à la montagne à des touristes qui ne l'étaient pas moins, à une époque ou la région de Chamonix était devenue une destination très prisée. Dans ces années là, la seule voie d'accès à Chamonix depuis Vernayaz était constituée par la route des diligences, un ancien sentier muletier transformé en route carrossable. Pour accéder à Salvan, il fallait alors franchir une trentaine de virages et plusieurs relais chevaux étaient nécessaires. Cette route entrainera le développement de la vallée du Trient où les habitants des nombreux villages se transformeront en hôteliers, guides, cochers, ou se convertiront à l'un des métiers dérivés de la nouvelle activité touristique en pleine croissance. Toute l'aristocratie européenne se donnera alors rendez-vous dans la région. La construction de la ligne de chemin de fer ne fera qu'accélérer cette croissance, au détriment bien sur du service de diligence. Les promoteurs de la ligne prendront contact avec les dirigeants du PLM pour les convaincre dans un premier temps de prolonger leur projet de ligne au-delà de Chamonix où elle devait originellement faire son terminus, vers Argentières et la frontière Suisse au Châtelard, et se mettre d'accord sur un certain nombre de choix techniques qui devraient permettre à terme de faciliter les échanges, voire des circulation internationales. La Compagnie du Martigny-Châtelard opta ainsi pour bien des choix préconisés par le PLM. Ce fut le cas du gabarit, de l'écartement métrique, et de l'alimentation par le 3ème rail, qui reste une exception en Suisse. Plusieurs tracés furent envisagés privilégiant au maximum l'adhérence simple sur des rampes ne dépassant pas les 70 pour mille, quitte à creuser des tunnels et à prolonger la longueur du parcours pour permettre aux trains de prendre de l'altitude en décrivant des lacets. Les coûts de construction risquant de s'envoler, il fut finalement décidé de couper au plus court et d'établir une section à crémaillère au moins sur la section comprise entre Vernayat et Salvan.
Reste à expliquer pourquoi certaines sections de la ligne sont dotées d'une caténaire.
A la base, pour dire les choses telles qu'elles sont, les suisses n'ont jamais été de grands partisans de l'alimentation par le 3ème rail qu'ils trouvent beaucoup trop dangereuse, en particulier lorsque la voie ferrée s'approche de zones habitées. Il est amusant de noter à ce propos que ce système d'alimentation est un vigueur sur 100% de la ligne côté français, qui présentent pourtant beaucoup plus de secteurs urbanisés que son versant suisse. Quoi qu'il en soit, le projet porté par la société du Martigny-Châtelard comprenait une première section en plaine, exploitée en mode tramway entre Martigny et Vernayaz. Aucun espoir d'obtenir une concession en présentant un dossier technique mettant en avant un tel mode d'alimentation en milieu urbain. Pour les premiers kilomètres de la ligne, on eu donc recours à un fil de contact, une caténaire simplifiée. Pour la partie située en montagne, l'alimentation par le 3ème rail fit l'objet d'une dérogation qui fut accordée à la compagnie en raison de la situation particulière de la ligne, mais cela restera une exception en Suisse. Les arguments qui furent entendu, est qu'il était beaucoup plus facile et moins couteux de remonter une voie alimentée par un 3ème rail que par une caténaire, à la suite de dégâts provoqués par les avalanches qui n'étaient pas rares sur le parcours.
Du reste et jusque dans les années 30, la Compagnie du Martigny-Châtelard ne faisait rouler ses trains que durant la belle saison.
Après l'approbation du tracé et des choix techniques, les travaux commencèrent en novembre 1902, et malgré la construction de 14 tunnels dont deux seulement pour lesquels il fut possible de faire appel à des explosifs, il s'achevèrent moins de 4 ans plus tard. La ligne Martigny - Le Châtelard frontière fut inaugurée en août 1906. La section vers Vallorcine fut ouverte en même temps que le tronçon qui reliait cette commune à l'Argentière par le PLM en juillet 1908. Le côté Suisse de la ligne n'est alors exploité que 5 à 6 mois par an durant la belle saison. En 1920 les CFF, Chemins de Fer Fédéraux Suisses, décident de la construction d'un barrage hydroélectrique sur le plateau de Barberine, situé sur les hauteurs du Châtelard. La compagnie du Martigny-Châtelard sera alors sollicitée pour assurer le transport des matériaux du chantier, qui seront acheminées jusqu'au pied de celui-ci par un funiculaire construit à cet effet. Grâce à cet apport financier, l'entreprise peut envisager plus sereinement son développement. Elle va décider d'ouvrir sa ligne à des circulations hivernales à compter de l'année 1931. Elles seront d'abord limitées à Finhaut, avant que le directeur de l'époque ne décide de faire construire des galeries paravalanches pour rendre la voie praticable jusqu'au terminus de la ligne à partir de l'hiver 1935/1936. Le développement de l'offre touristique aidant la compagnie se porte bien. Durant la seconde guerre mondiale, le trafic touristique disparaît complètement et la frontière française est fermée. La Compagnie survit grâce au transport de troupes et de matériels militaires. A la fin de la guerre, les touristes sont de retour, et de nouveaux équipements hydroélectriques sont envisagés au-dessus du Châtelard. Les trains de travaux sont de retour sur la ligne. Il faut augmenter les cadences des convois tout en maintenant un haut niveau de sécurité. C'est alors qu'un système de block automatique lumineux y est installé. Je vous ai dis que les Suisses n'aimaient pas trop le principe de l'alimentation de la voie par un 3ème rail, dans les années 90, ils ont débloqué des financements pour s'en séparer là où c'était possible. Il n'en reste que trois sections. Deux tronçons ont été traités : Salvan - Le Trétien en 1990 et 91, puis Le Châtelard - Le Châtelard-Frontière entre 1994 et 1996. Reste les tronçons en tunnel dont le gabarit ne permet pas l'installation d'un fil de contact.
A propos de tunnels, la ligne parcourue par le Mont-Blanc Express compte de nombreux ouvrages d'art.
Les tunnels sont au nombre de 14, leur longueur cumulée avoisine les 2 km et représente 13% du parcours. Le plus long est celui de Lachat qui mesure 579 mètres, tout juste 100 fois moins que le nouveau tunnel de base du Gothard qui lui est long de 57 km. Les cheminots travaillant sur la ligne le considèrent donc comme son petit frère par la taille, mais son grand frère par son âge. Le tunnel de Lachat a été ouvert en 1906, celui de base du Gothard, 110 ans plus tard en 2016. Sur la section à crémaillère, celui des Chardons est le 2ème plus long de la ligne, il est hélicoïdale, la pente y est de 20% et le rayon de courbure de 80 mètres, à comparer avec celui minimum imposée sur la partie française qui est de 150 mètres. Dans ce tunnel on peut encore y apercevoir les entrées de galeries qui avaient été creusées au moment de sa construction car un gisement de charbon y avait été découvert. Finalement, le filon s'étant révélé trop petit, on renonça à l'exploiter. Les autres ouvrages d'art sont les galeries paravalanche. Il y en a 13 sur le parcours, et les ponts et viaducs. Le plus remarquable étant celui de du Triège avec une arche de plus de 35 mètres qui enjambe le torrent 43 mètres plus haut.
Mais la section de ligne qui impressionne voire inquiète le plus les voyageurs c'est celle qui fait appelle à une crémaillère.
Qui ne s'est jamais demandé alors qu'il se retrouve dans un train engagé sur une pente de 20 pour cent ce qui se passerait en cas de défaillance des freins ou du conducteur ? Mais là, David est formel, la sécurité est totale. La vitesse des trains qui s'engagent sur cette section est drastiquement contrôlée. Celle autorisée est de 20 km/h maximum, dès 22, le freinage d'urgence est enclenché automatiquement et le train arrêté. Et là, pas d'inquiétude non plus, le train pourrait rester accroché à la voie indéfiniment. La situation normale est en effet le serrage des freins, et il en existe plusieurs. L'un d'eux est commandé par un ressort qui est comprimé en permanence. C'est l'envoie d'air dans un circuit qui permet de le dé-serrer. En cas de fuite ou de manque d'air, la conséquence immédiate est que des mâchoires agrippent solidement la voie. Il y a par conséquent plus de chances de se retrouver dans l'impossibilité de bouger que de partir à la dérive. Il reste que la crémaillère est tout à fait adaptée dans le cadre d'une ligne à vocation touristique, mais qu'elle complique singulièrement l'exploitation. Les véhicules qui circulaient à l'origine sur la ligne ne pouvaient pas dépasser les 7 km/h. Pour fluidifier le trafic, un aménagement avait été créé après Salvan pour gagner un peu de temps. Une aiguille avait été posée sur un replat, en un point ou la pente n'est plus que de 35 pour mille. Elle permettait au train descendant de s'engager dans une voie en impasse, le temps de croiser le train montant. Une fois celui-ci passé, il refoulait au-delà de l'aiguille pour se ré-engager dans la descente. Il fallait alors une heure pour faire cette portion du trajet. Le dispositif a été supprimé dans les années 60 après l'arrivée sur la ligne d'automotrices capables de rouler plus vite sur ce tronçon. La crémaillère qui l'équipe était d'origine jusqu'en 2011, année au cours de laquelle elle a été remplacée.
La ligne est fréquentée par de nombreux touristes à qui les TMR proposent des trains charters
Ce sont des trains qui suivent les réguliers, tout en bénéficiant d'un horaire plus détendu. Les pilotes peuvent se permettre de ralentir en peu leur vitesse pour permettre à leurs passagers de profiter du paysage. Ils ne font pas d'arrêts commerciaux en gare, et des annonces touristiques sont diffusées. Seule contrainte, ne pas trop trainer quand même, de manière à ne pas mettre en retard les trains croiseurs. Tout au long du parcours, les points remarquables ne manquent pas. Commençons par le plus proche de la frontière française. Verticalp, un parc d'attraction malheureusement actuellement fermé qui cherche un repreneur. Le site donne accès au barrage d'Emosson en empruntant trois modes de transport sur rail. Un funiculaire, un train panoramique et un mini-funiculaire. Ce site draine habituellement pas mal de trafic sur la ligne Martigny-Châtelard et la compagnie qui l'exploite ne peut que souhaiter sa réouverture prochaine. Salvan, est le siège du musée de la radio. C'est en effet ici que fut réalisée une première mondiale en 1895. Marconi établie la première liaison de télégraphie sans fil entre la commune et celle voisine des Marécottes, également desservie par le train. Sans oublier le Train Nostalgique du Trient, une association qui préserve une partie du matériel roulant qui a circulé sur la ligne et propose des circulations entre Martigny où se trouve son dépôt et Vernayaz.
C'est précisément à Vernayaz que se trouvent les principales installations des TMR.
Les TMR ce sont les Transports de Martigny et Régions SA, une compagnie née en l'an 2000 de la fusion de celles du Martigny-Châtelard et du Martigny-Orsières. Elle exploite deux lignes de chemin de fer le Mont-Blanc Express et le Saint-Bernard Express entre Martigny et Le Châble, mais également des lignes de bus, une agence de voyage, et une flotte de camions. Ses principales installations ferroviaires sont implantées à Vernayaz, où se trouve son dépôt et le CGT, Centre de Gestion du Trafic. En 2018, elle a inauguré son centre de compétences en révision de bogies ferroviaires, ce qui lui a valu d'avoir pour client la SNCF qui y a refait faire les bandages des roues de son célèbre Train Jaune, mais ça, c'est bien sur une autre histoire.
Et vous ? Vous êtes vous déjà aventuré sur le versant Suisse de la ligne du Mont-Blanc Express ou avez-vous l'intention de le faire prochainement ? Racontez-moi vos aventures ou vos projets en commentaires. Un grand merci à David Bertolini, à son ancien collègue Pascal qui se reconnaîtra ainsi qu'aux TMR pour l'organisation de cette journée de tournage. Merci aussi à l'équipe de Rail One pour les images de drone en particulier, je vous renvoie sur l'émission qu'ils ont eux même consacré au Mont-Blanc Express, vous y découvrirez notamment plus en longueur l'association du Train Nostalgique du Trient dont je n'ai fais qu'évoquer l'existence dans ce reportage et une mémorable séance de train spoting sur la ligne. Je vous retrouve quand à moi la semaine prochaine pour partager avec vous de nouvelles découvertes ferroviaires.
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