En train sur le toit de l'Europe
La Jungfrau

En train sur le toit de l'Europe La Jungfrau
Transcription :
Le projet était d'amener des touristes en train jusqu'au sommet de la Jungfrau, un pic qui culmine à 4 158 mètres d'altitude dans les alpes suisses. Finalement la gare terminus sera établie un peu plus bas à 3 454 mètres tout de même au col de la Junfraujoch ce qui suffit à faire de cette ligne de chemin de fer la tenante du titre de la plus haute d'Europe. On arrive à destination en empruntant plusieurs moyens de transports comme seuls les suisses savent en imaginer, des trains à crémaillère bien sûr, mais depuis tout juste trois ans, les visiteurs les plus pressés d'arriver au sommet peuvent décider d'emprunter un raccourci optionnel, l'Eiger Express, le système de transport par câble le plus moderne au monde, avant de remonter dans le train, un peu plus haut pour achever l'ascension jusqu'au terminus.
Je vous emmène cette semaine dans un autre univers, celui de la haute montagne dont l'accès est habituellement réservé aux seuls alpinistes chevronnés, mais que le train permet d'atteindre sans effort. Alors où est-ce ? Comment y va-t-on ? Que découvre-t-on là-haut ? Je vous dis tout ça dans ce nouveau numéro. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
C'est à un entrepreneur suisse Adolf Guyer-Zeller que revient l'idée de cette construction. Elle lui serait venue au cours d'une ascension dans la région. De retour d'une ascension du Schilthorn, il est fasciné par la beauté du panorama donnant sur l'Eiger, le Mönch et la Jungfrau. Connaisseur du monde des chemins de fer, puisqu'il fut actionnaire avant de devenir président du conseil d'administration de la Compagnie du Nord-Est qui établira l'un des plus grands réseaux ferré du pays, et bien conscient du potentiel touristique que recèle le site, il décide de relancer le projet de partir à la conquête de la Jungfrau. De tels projets avaient déjà existé, mais n'avaient pas abouti par le passé, mais ce qui était nouveau lorsqu'il se mit au travail sur le sien, c'est que depuis peu de temps, une ligne de chemin de fer arrivait au pied de la montagne à un col appelé Kleine Scheiddeg. Il imagina alors de creuser un tunnel dans la montagne puisque du fait de la présence d'un glacier, il n'était pas envisageable de poser des rails à l'air libre. Il dessina les plans de la ligne qu'il imaginait en la faisant d'abord partir vers le glacier, avant de s'engouffrer à l'intérieur de la première des trois montagnes : l'Eiger. A l'intérieur de celle-ci, le train prendrait de l'altitude et réorienterai son parcours afin de continuer toujours en tunnel sous le deuxième sommet, le Mönch, puis sous le col de la Jungfraujoch. Enfin, à l'intérieur de la Jungfrau, la ligne continuerait à s'élever en spirale jusqu'à ce qu'il n'y ait plus assez de place pour tourner du fait que la montagne devient de plus en plus étroite au fur et à mesure que l'on se rapproche de son sommet. Dès lors, c'est un ascenseur qui permettrait de franchir les derniers mètres et de rejoindre un hôtel qui serait établi tout en haut. Afin de commencer à faire entrer le plus tôt possible de l'argent dans l'entreprise, car Aldof Guyer-Zeller savait très bien que ce chantier allait coûter une petite fortune, il décida d'aménager des stations intermédiaires qui seraient autant de destinations touristiques. Ainsi, pendant que les travaux continueraient dans la partie supérieure, les premiers visiteurs pourraient d'ores et déjà prendre le train jusqu'à ces premiers arrêts.
Le premier coup de pioche fut donné le 27 juillet 1896.
Et c'est bien de coups de pioche dont il faut parler. Aucune machine n'était présente sur le chantier, tout se faisait à la force des bras d'ouvriers pour la plupart italiens qui sont pour l'occasion venus s'installer dans la région. Très rapidement, le train ayant besoin d'énergie et dans un aussi long tunnel qui plus est en pente la traction à vapeur n'étant pas envisageable, la construction de deux centrales hydro-électriques fut entreprises à Lauterbrunnen et dans les environs de Grindelwald. En à peine deux ans un premier tronçon était ouvert entre Kleine Scheidegg et le glacier de l'Eiger. Cette première halte marquait l'entrée du tunnel qui restait à creuser. Elle servira également de base de vie aux ouvriers. Quelque mois plus tard Aldof Guyer-Zeller décède d'une pneumonie. Ses héritiers décident de poursuivre le chantier. Mais alors que les premières gares situées à l'intérieur du tunnel sont tour à tour ouvertes, la Paroi de l'Eiger en 1903 et celle de la mer de glace, deux ans plus tard, l'intégralité du budget alloué au projet est consommée. Par manque de financements, le chantier devra s'arrêter deux ans à partir de décembre 1905 avant de pouvoir enfin redémarrer. Finalement après 16 ans de travaux, dont 14 consacrés au tunnel, la gare la plus haute du monde sera inaugurée le jour de la fête nationale suisse, le 1er août 1912. Dans le mêle temps, la décision sera prise que les trains n'iront jamais plus loin et ce n'est que quelques années plus tard que le site prendra son aspect visuel actuel avec l'ouverture en 1931 d'une station de recherche et la construction en 1950 d'une coupole pour les observations astronomiques. Enfin, en juillet 1996, une terrasse panoramique sera ajoutée à l'ensemble.
Par elle-même, la ligne de chemin de fer qui conduit à la Jungfrau n'est longue que de 9 km 300. Elle a pour origine un col situé à déjà 2000 mètres d'altitude au pied de la face nord de l'Eiger. Pour y arriver, il faut prendre deux autres trains à crémaillère.
La gare d'Interlaken-Ost est le point de départ idéal pour cette excursion. Il faudra que je vous raconte comment j'y suis arrivé depuis Montreux, à bord du Golden Pass Panoramique, ce train qui a la faculté de changer en cours de route la largeur de l'écartement de ses roues, mais ça, ce sera l'objet d'un autre reportage. À Interlaken, il convient de monter à bord d'un premier train régional en partance pour Grindelwald et Lauterbrunnen. Il est proposé par les BOB (Berner Oberland-Bahn ou chemins de fer de l'Oberland Bernois) qui exploitent plusieurs lignes dans la région. Celle reliant Interlaken à Grindelwald ou Lauterbrunnen a été ouverte en 1910. L'année suivante la section Lauterbrunnen - Mürren est inaugurée. Elle comprend deux tronçons. Le premier était parcouru par un funiculaire jusqu'en 2006 date à laquelle il a été remplacé par un téléphérique. Le second, reste une ligne de train classique de montagne à voie métrique. En 1893, la ligne de la Schynige Platte est inaugurée à son tour. En correspondance avec les trains de la Berner Oberland-Bahn à Widerswil, elle donne accès au sommet de la Schynige Platte, situé juste au-dessus des 2000 mètres d'altitude. Point de départ pour de nombreuses randonnées, cette destination n'est désormais plus desservie qu'en saison estivale, par un train à vapeur. Enfin, la même année, une autre compagnie, la Wengernalp prolonge par une voie à l'écartement de 80 cm propre aux premières voies ferrées à crémaillère de Suisse, les deux lignes à voie métriques des Berner Oberland-Bahn, d'une part de Lauterbrunnen à Kleine Scheidegg et d'autre part de Grindelwald à Kleine Scheidegg également.
Si chacune des compagnies citées ainsi que quelques autres exploitants des funiculaires installés dans la région d'Interlaken et de la Jungfrau ont conservé leurs noms d'origines, elles sont désormais toutes regroupées au sein d'une seule entité : les Jungfraubahnen.
C'est d'une part une tendance assez générale en Suisse où ces dernières années les plus petites entreprises ferroviaires ont été fortement encouragées à se regrouper pour en constituer de plus grosses, et d'autre part cela permet plus facilement d'envisager des aménagements d'envergure. Le plus récent d'entre eux dans la région a porté le nom de V-Bahn. Il s'est agi pour les Jungfraubahnen de repenser l'accès à la Jungfrau, non seulement pour les touristes désireux de monter jusqu'au sommet, mais aussi pour les skieurs. Annoncé en 2012, alors que le Chemin de Fer de la Jungfrau fêtait son centenaire, son déploiement s'est achevé le 5 décembre 2020. À Grindelwald, une nouvelle gare pensée comme un terminal d'aéroport a été conçue pour recevoir les trains en provenance de la vallée ou du col de Kleine Scheidegg, mais aussi pour être le point de départ de deux lignes de téléphérique, une pré-existante, mais totalement renouvelée, l'autre créée de toute pièce. Enfin, le nouveau site intègre un parking, une gare routière et un centre commercial.
De tous les aménagements envisagés, c'est celui de la nouvelle ligne du téléphérique qui a posé le plus de questions.
D'une part, les habitants de la région restaient très attachés au train et craignaient que cette installation ne viennent lui faire une concurrence qui serait à terme fatal à la relation ferroviaire entre Grindelwald et Kleine Schneidegg, d'autre part la perspective qu'une verrue pourrait venir polluer le panorama s'ouvrant sur la face nord de l'Eiger n'enthousiasmait pas les foules. Les discussions ont donc été longues, et pour que le projet puisse aboutir la copie a du être revue à de nombreuses reprises. Finalement, un accord a pu être trouvé aux conditions que le téléphérique reste relativement près du sol, et d'autre part que le nombre de pylônes soit le plus réduit possible. Toutes ces contraintes, ajoutées au cahier des charges d'origine du projet, ont bien évidement conduit à en faire exploser les coûts, il est question d'un budget de près de 470 millions de francs suisses, soit autant d'euros, mais ont eu pour autre conséquence de déboucher sur la conception du téléphérique le plus moderne du monde. Il exploite la technologie baptisée « 3S », qui consiste à mixer celle d'un téléphérique traditionnel et celles des remontées mécaniques débrayables du type télécabines. Pour cela, il s'appuie sur 3 câbles (seile en allemand), d'où le nom « 3S ». Deux sont porteurs, le troisième, moteur. Cette approche à l'avantage de pouvoir soutenir une vitesse assez élevée, tout en procurant un plus grand confort aux voyageurs puisque le passage des pylônes produit moins de secousses et que la sensibilité des cabines au vent est moins grande.
D'autres téléphériques de type 3S sont d'ores et déjà en fonctionnement dans le monde, il y en a notamment en France à Val d'Isère en Savoie, à Avoriaz en Haute-Savoie, et à Toulouse, alors qu'est-ce qui distingue celui des Jungfraubahnen à Grindelwald ?
Déjà la longueur de sa ligne, 6 kilomètres et demi qui en fait la plus longue des Alpes. Le nombre de ses pylônes, pour se faire le plus discret possibles dans la nature environnante, ils ont été réduits au strict minimum, il n'y en a que 7, la portée entre deux peut donc être assez longue. Quelques-uns de ces pylônes sont équipés d'un dispositif permettant de compenser d'éventuels mouvements de terrain. Et puis surtout, une toute nouvelle génération de cabines particulièrement bien aménagées, il y en a une 40 aine qui peuvent chacune emporter chacune 26 passagers pouvant prendre place sur des sièges chauffants s'il vous plaît. Un système d'informations multimédia piloté par GPS donne des informations tout au long du trajet, les vitres panoramiques sont elles aussi chauffées pour éviter l'accumulation de buée ou de givre, et grande première, le transport de marchandises se fait en même temps que celui des passagers dans des cabines spécialement équipées qui sont chargées et déchargées automatiquement par un robot. Il y en a 4 qui sont prévues à cet effet. Toutes les cabines peuvent être rangées après le service dans un grand garage installé dans la station inférieure, et celles-ci peuvent être insérées ou retirées à volonté sur la ligne grâce à un système d'aiguillage assez sophistiqué. Le trajet dure une quinzaine de minutes, ce qui fait gagner trois quarts d'heure sur le temps de parcours par rapport à sa variante ne prenant que par le train.
Précisément, les amateurs de train préféreront sans doute faire l'ensemble du trajet en restant sur la terre ferme, une option qui fort heureusement existe toujours.
Dans ce cas, il est possible de monter par Grindelwald ou Lauterbrunnen et Wenger pour rejoindre par un côté ou l'autre la gare de Kleine Scheiddeg où les trains de la compagnie du Wengernalp font correspondance avec ceux de la JunfrauBahn. Du col, il reste une trentaine de minutes de trajet à parcourir pour gagner encore 1400 mètres d'altitude. Le trajet aller comprend un arrêt de quelques minutes à la gare de la mer de glace à partir de laquelle les voyageurs peuvent profiter de la vue sur le glacier. Les autres gares se trouvant sur le parcours qui se fait quasi intégralement en tunnel ne sont plus desservies et ne servent le cas échéant qu'à permettre le croisement des trains. Une fois arrivé au sommet, on est forcément tenté de se rendre le plus rapidement possible à l'extérieur pour voir le paysage qui nous entoure. Un ascenseur permet pour cela de rejoindre en moins de 30 secondes l'observatoire du Sphinx situé 108 mètres plus haut et où se trouve une plateforme à partir de laquelle on jouit d'une magnifique vue sur les montagnes et les vallées voisines. La vue s'étend jusqu'à l'Allemagne et l'Italie. Une deuxième sortie est possible, de l'autre côté de l'observatoire sur un petit morceau du glacier d'Aletsch, le plus long des Alpes, avec ses 23 kilomètres. Mais le plus étonnant, ce sont les dizaines de mètres de galeries qui ont été creusées dans la montagne et qui abritent de nombreuses animations. Des maquettes, des projections racontant l'histoire de la construction de la ligne de la Jungfrau, mais aussi un palais des glaces creusé à l'intérieur du glacier, des restaurants et des boutiques bien sûr, et vous pourrez même rencontrer monsieur Lindt en personne qui vous fera une démonstration de la préparation de ses chocolats, avant de vous rendre-compte qu'en fait, il s'agissait de son hologramme. Bref, la Jungfrau, c'est beaucoup plus qu'un simple voyage en train.
Et vous avez-vous déjà eu l'occasion de monter dans cette gare la plus haute d'Europe ? Êtes-vous tenté d'y aller ? Vous pouvez me faire part de vos expériences dans les commentaires, et si vous avez envie d'explorer un peu plus la Suisse en train, je vous conseille ce reportage qui vous permettra de mieux comprendre comment les transports de voyageurs sur rails sont organisés dans le pays.
Le Mont-Blanc Express
versant Suisse

Un week-end ferroviaire
à Lucerne (Suisse)

Le Mont-Blanc Express
(1/2 : la partie française)

Le Chemin de Fer-Musée
du Blonay-Chamby

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