Les turbotrains
de la SNCF
Les turbotrains de la SNCF
Transcription :
Les turbotrains ce sont pour l'essentiel deux séries d'engins que l'on a vu circuler en France durant une 30 aine d'années. Les ETG et les RTG. Ils étaient affectés à la desserte de grandes transversales Paris-Caen-Cherbourg, Lyon-Grenoble, Valence-Genève, mais aussi Lyon-Strasbourg, Lyon-Nantes ou encore Lyon-Bordeaux. Des lignes ayant pour point commun de ne pas être électrifiées à l'époque et d'être faiblement armées, c'est à dire que les rails qui les constituaient ne permettaient pas de supporter des rames trop lourdes. Conçus sur les bases bien connues des autorails, dotés d'un moyen de propulsion révolutionnaire, les turbotrains alliaient puissance et confort, et ont fait revenir au train bon nombre de voyageurs qui s'en étaient détourné. De ce fait, ils seront très tôt victimes de leur succès.
Mais pourquoi les appelle-t'on Turbotrains ? Comment est-ce que ces engins ont réussi le pari d'allier vitesse et légèreté. Qu'est-ce qui différencie les deux séries ETG et RTG ? Comment ont-ils été à l'origine du TGV ? Pourquoi ne roulent-ils plus aujourd'hui malgré le succès rencontré à l'heure de leur exploitation ? Enfin que reste t'il des Turbotrains, ce sont quelques unes des questions auxquelles je réponds dans ce nouveau numéro. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Dans les années 60, la SNCF se retrouve dans une fâcheuse posture. Concurrencé par la voiture et l'avion, le train ne semble plus guère avoir d'avenir. C'est un mode de transport qui est devenu beaucoup trop lent pour une époque qui découvre l'ivresse de la vitesse. Pour survivre, le train n'a guère d'autre choix que celui de réduire de façon drastique ses temps de parcours. Pour cela il existe deux pistes principales à explorer. La première est celle de la construction d'infrastructures nouvelles, des voies sur lesquelles les trains pourront rouler beaucoup plus vite. Cette approche donnera naissance au TGV. La seconde, consiste à rechercher des solutions pour rouler plus vite sur une infrastructure vieillissante. Cette approche conduira à la mise au point des Turbotrains.
Le principe ? Remplacer le classique moteur diesel par une turbine à gaz.
A dire vrai, l'idée n'est pas tout à fait nouvelle. Au début des années 50, Renault avait mis au point un prototype de locomotive à turbine à gaz, empruntant cette technique au monde de la marine marchande. La 040 GA 1 fera des essais sur les lignes Paris-Granville et Paris-Valenciennes. On raconte qu'elle était tellement bruyante, que lorsqu'elle stationnait en gare, tout message diffusé sur les haut-parleurs devenait complètement inaudible. Elle finira sa carrière au dépôt de La Rochelle, d'où elle assurera des omnibus vers Fontenay-le-Comte. Mise en service en 1952, elle sera radiée dès 1959 après avoir parcouru à peine 360 000 km, les turbines à gaz de technologie maritime s'avérant décevantes pour leurs applications ferroviaires. Renault récidivera néanmoins, en construisant deux autres prototypes. Les 060 GA 1 et 2. Ces deux nouveaux engins seront construits en 1959. Pour gagner en puissance, ils sont dotés de deux turbines à gaz. Mais les essais se révéleront peu satisfaisant. Ces locomotives n'atteignant jamais la puissance visée. Et puis, en 1963, Renault abandonne son activité de construction ferroviaire. Le sort de cette technologie semble scellé. Les deux machines sont garées chez un ferrailleur. Elles échapperont de peu à la démolition, étant finalement rachetées 3 ans plus tard par la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux. C'est alors que la 060 GA 1 reçoit un moteur diesel classique et est renumérotée CC 80001 et rebaptisée « Belphégore » par son nouveau propriétaire. La 060 GA 2, renumérotée CC 80002 servira de banque de pièces à la première. Commence alors pour elles une autre histoire, mais qui nous éloigne un peu de celle des turbo-trains, puisque la CC 80001 n'est une une locomotive à turbine à gaz.
Les turbines à gaz issues de la marine marchande ne sont donc définitivement pas adaptées au ferroviaire, mais quand est-il de celles provenant de la filière aéronautique ?
C'est Jean Bertin qui sera le premier à les tester pour son projet d'Aérotrain. Mais il s'agissait pour lui de faire rouler ou plutôt voler sur coussins d'air des engins qui emprunteraient une infrastructure dédiée et parfaitement incompatible avec celle du chemin de fer classique. Je vous ai raconté la petite histoire de l'Aérotrain dans une autre vidéo diffusée sur cette chaîne. Mais l'Aérotrain agace, la SNCF, mais aussi les pouvoirs publics qui demandent à la grande maison de lui soumettre une solution pour relier à haute vitesse, en train, les grandes villes de l'hexagone. Celle-ci se tourne par conséquent vers ses ingénieurs. Pour eux, le problème est que la solution ne pourra pas reposer sur la traction électrique. D'une part, dans ces années là, le réseau ferroviaire n'est que très faiblement électrifié, d'autres part, les tests et records du monde de vitesse sur rail réalisés dans les landes au milieu des années 50 ont bien montré la difficulté à capter le courant via un pantographe une fois un train lancé à grande vitesse. Inutile par ailleurs d'espérer grand chose de la traction diesel. Les moteurs d'alors, ne sont pas assez performants et il existe une relation entre gain de vitesse et gain de poids, qui conduirait à la conception d'engins beaucoup trop lourds pour les voies sur lesquelles ils seraient amenés à circuler.
Pour ces ingénieurs, Guy Sénac en tête, la solution passe donc par des engins automoteurs, c'est à dire qui ne dépendent pas de l'extérieur pour leur alimentation en énergie, et l'idée de Jean Bertin de marier les technologies du ferroviaire à celles de l'aéronautique leur paraît une piste à suivre.
C'est un Turmo III C3 qui servira aux essais. Cette turbine d'hélicoptère est fabriquée par la firme TurboMeca et motorise les Super Frelons et SA 330 produits par Sud Aviation la future Aérospaciale. Un premier projet d'équiper une rame Paris-Bruxelles d'un tel dispositif pour s'en servir de booster qui permettrait de la propulser à la vitesse de 270 km/h échouera en 1965. Mais les recherches continuent. Il faut régler des problèmes liés à l'insonorisation, au filtrage du carburant et d'autres encore. Pour avancer, il est décidé de prélever sur le parc matériel roulant de la SNCF, un Elément Automoteur Diesel et de le transformer quelque peu. On lui laisse son moteur classique positionné sous le plancher de la motrice, mais on aménage dans la remorque un espace insonorisé où placer la turbine à gaz. Par rapport au moteur diesel équipant habituellement les autorails, celle-ci est étonnamment compacte et légère : Elle ne pèse que 300 kg, et a pu être introduite par l'une des fenêtres de l'engin. Un compartiment technique est aménagé pour installer les appareils de mesure. Le reste de l'espace reçoit des fauteuils de première classe. Les autres grosses modifications de la caravelle d'origine ont consisté à la doter de nouveaux bogies, aptes à la grande vitesse, et d'un bouclier aérodynamique à chacune de ses extrémités. L'engin ainsi transformé sort des ateliers du Mans en 1967, et réalise ses premiers essais dans la foulée, dans la région. Pour des problèmes techniques qui n'ont pas trouvé de solution dans un premier temps, la transmission dont est équipée la turbine pour se relier au bogie moteur n'est pas assez résistante pour permettre le décollage du train. C'est donc le moteur diesel qui assure cette fonction. A partir de 40 km/h, la turbine à gaz est mise en route et elle prend progressivement le relais du moteur diesel. Les essais étant concluants, voire même prometteurs, d'autres campagnes sont programmées. Cette fois-ci entre le Mans et Vierzon, avec comme objectif d'expérimenter la grande vitesse. L'engin tiendra ses promesses, atteignant sa vitesse record de 238 km/h. Le premier TGV, ou Turbotrain à Grande Vitesse selon l'appellation de l'époque, était né. Par la suite, l'engin expérimental sera rebaptisé TGS pour Train à Turbine à Gaz Spécial, et surtout laisser le champs libre au TGV dont le projet émergeait alors.
Je vous ai raconté dans une série de vidéos la petite histoire du TGV qui était à l'origine un Train à Turbine à Gaz lui aussi jusqu'à ce que le choc pétrolier de 1973 décide de son changement de catégorie et en fasse un train électrique, alors il est temps de revenir à nos bons vieux turbo-trains.
Du premier TGV renommé TGS, s'est en effet détaché en 1966 une autre branche d'automoteurs : les ETG. Les essais menés par la SNCF ont conduit à la certitude, que les turbomoteurs pourraient être alimentés par un combustible diesel, ce à quoi elle tenait absolument, pour des raisons de sécurité. Elle passe par conséquent commande d'une première série d'engins, assez logiquement auprès des Ateliers de Construction du Nord de la France. En effet, la structure des caisses, notamment des remorques est était proche de celles des EAD également produits par le même constructeur. Les ETG étaient composés de 4 caisses :une motrice propulsée par une turbine à gaz conçue par Turbomeca de type Turmo III F1, soit une version légèrement modifiée de celle équipant les hélicoptères, 2 remorques, et une motrice équipée d'un moteur diesel Saurer SDHR, qui, installé sous la caisse, servait à lancer le train jusqu'à la vitesse de 40 km/h avant que la turbine ne prenne le relais. Ces rames étaient capables d'atteindre la vitesse de 180 km/h, mais resteront limitées en service commerciale à celle de 160 km/h. C'est mieux que les trains classiques qui eux, ne dépassaient pas les 140 km/h. Le gain de temps sur un Paris-Cherbourg était ainsi de l'ordre de 20%. A l'intérieur étaient disposés 188 places assises, 56 en première et 132 en seconde et un espace restaurant en libre service qui offrait 14 places assises. L'esthétique de la rame était signé Paul Arzens. La livrée beige et blanche fit sainsi son apparition sur ces engins. Les 10 premières rames seront livrées à la SNCF entre les mois de janvier et d'août 1970. 4 éléments supplémentaires seront livrés entre mai et juillet 1972. Dès leur mise en service, ces rames seront affectées aux lignes Paris-Caen-Cherbourg, et Paris-Trouville-Dives-Cabourg. Elles seront affectées au dépôt de Caen. Et très vite, ces liaisons assurées par des ETG vont trouver leur public. A tel point, que leur capacité va se révéler insuffisante. Il faudra les modifier pour leur permettre de rouler en jumelage, c'est à dire par deux, chacune des rames conservant néanmoins un conducteur.
Ces engins finiront par être remplacés par des rames à turbine à gaz de nouvelle génération, plus puissantes et plus capacitaires.
Si l'on parle de rames et non plus d'éléments, c'est pour une raison bien précise. Contrairement aux ETG dont les caisses ne pouvaient être dissociées qu'en atelier, les RTG était constituées de motrices et de voitures dotés d'attelages et de tampons classiques. Il était donc théoriquement possible d'en modifier beaucoup plus facilement la composition. Mais la grande différence entre ces deux générations de matériels, réside dans leur motorisation. Sur les nouvelles RTG, exit le moteur diesel, place à 2 turbines à gaz. Une 40 aine de rames seront commandées. La première sous-série sera livrée au dépôt de Vénissieux en 1973, pour une mise en service sur les lignes Lyon-Strasbourg, Lyon-Nantes et Lyon-Bordeaux. Les suivantes le seront à Caen en 1975, où elles viendront remplacer les ETG mutés au dépôt de Vénissieux puis à celui de Vaise. Elles assureront des liaisons principalement dans la région Lyonnaise, vers Grenoble, Chambéry, Genève, Annecy ou encore Clermont-Ferrand. Les rames RTG étaient composées de 2 motrices, encadrant 3 remorques. Pour ce qui est de leur équipement, le confort était au rendez-vous, la climatisation étant installée dans toutes les remorques, les baies latérales équipées de double vitrage, les différents espaces voyageurs, séparés par des portes vitrées coulissantes automatiques. Leur aménagement intérieur variait en revanche en fonction des trajets sur lesquelles elles étaient affectées. Sur celles effectuant les plus courts trajets en Normandie par exemple, l'espace restauration était supprimé. Celles circulant autour de Lyon l'avaient conservé, mais disposaient d'un plus grand nombre de fauteuils en seconde classe. Les RTG étaient conçues pour circuler à 200 km/h, dans les faits, elles ne dépasseront jamais les 160 km/h en service commercial, faute de lignes existantes non électrifiées où elles auraient pu monter au maximum de leur capacité. A leur début, elles n'étaient pas conçues pour le jumelage. Elles seront assez rapidement modifiée pour permettre de les exploiter dans cette configuration. Les deux conducteurs communiquaient alors via un interphone et des voyants lumineux placés sur le tableau de bord. Une 10 aine d'années plus tard, une nouvelle transformation permettra l'exploitation en unités multiples, c'est à dire deux rames accouplées, mais pilotées par un seul conducteur. Unanimement louées pour leurs performances et leur confort, les RTG, comme les ETG avaient quand même un petit souci.
Elles étaient extrêmement gourmandes !
Ce qui dans les années 60 n'était pas un problème tant le prix du carburant était bas, en est devenu un après les deux chocs pétroliers successifs de 1973 et 1979, au point même, que l'exploitation de ces engins en devenait non rentable. Pour leur permettre de prolonger un peu leur durée de vie, la SNCF procéda au changement de turbines de toutes les motrices impaires, pour un nouveau modèle plus puissant, et moins gourmand. La turbine placée dans les motrices paires n'étant plus utilisée qu'en cas d'un besoin de renfort de puissance sur les sections de lignes à fortes rampes. Malgré tout, la consommation restait très élevée. Arrivant à mi-vie, les rames RTG s'apprêtaient à subir des transformations, comme beaucoup de matériels commençant à prendre de l'âge. La SNCF réfléchit à plusieurs hypothèses les concernant. Une remotorisation avec une nouvelle turbine encore plus économe, avec un moteur diesel d'autorail, ou même le remorquage par des locomotives thermiques. Finalement, aucune de ces solutions ne fut retenues, étant jugées trop coûteuses ou peu commodes. L'entreprise préférera investir dans l'électrification de nouvelles lignes, dont certaines autrefois parcourues par des turbotrains. Sur les autres, les RTG seront remplacées par des trains classiques, au prix d'une augmentation des temps de parcours, ce qui conduira à une perte conséquente de clientèle, laquelle provoquera par exemple, la fermeture de la transversale Lyon-Bordeaux en 2008.
C'est la fin des turbotrains en France, mais certains continuent de circuler à l'étranger.
Entre 1972 et 1982, les Ateliers de Construction du Nord de la France livreront 6 RTG à l'entreprise américaine Amtrack. A quelques détails près dont la prise en compte a été rendue nécessaire par leur exploitation sur le continent américain, ce sont les mêmes que les rames circulant en France. Elles ont été mises en service sur des lignes autour de Chicago, mais aussi entre Montréal, Quebec et New-York. 7 autres RTG de ce type seront construites par la suite, sous licence, sur place.
ENR, Egyptian National Railway commandera aux ANF, trois rames de type RTG en 1983, avec cette-fois-ci beaucoup plus de modifications par rapports à la version française. Enfin l'Iran passa commande de 4 rames en 1975, et racheta à la SNCF les 5 dernières RTG du dépôt de Vénissieux, 30 ans plus tard, en 2004.
Pour ce qui est de la préservation, il faut bien avouer que c'est assez pauvre.
Deux motrices RTG ont été prises en charge par la Cité du Train à Mulhouse, l'une y est exposée, l'autre est stationnée sous les rotondes de Mohon qui lui servent de réserve à Charleville-Mézière.
et c'est tout pour les RTG, et pour ce qui est des ETG …
hé bien, ce n'est pas terrible non plus ! Aucune remorque n'a été conservée, seul engin qui est digne d'intérêt mais qui n'est plus un turbo-train, ce sont les motrices qui constituent le X 1501/X 1502, un autorail comme son nom l'indique qui a en fait été constitué à partir de 1993 de deux anciennes motrices de turbotrain. Il a été rebaptisé Astrée en devenant un prototype destiné à tester le Programme d'étude d'un système d'automatisation du suivi de localisation des trains par radars embarqués, avant d'être de nouveau transformé en 2001 pour devenir un prototype ERTMS et tester cette-fois-ci le programme de signalisation européen. Depuis 2018, il est préservé à Carnoules par l'Association du Train Touristique du Centre Var et permet de se faire une idée de l'aspect extérieur que pouvait avoir cette première génération de turbotrains, même si sa livrée a été modifiée.
Alors, les turbotrains, ça vous rappelle des souvenirs ? Vous pouvez me les raconter en commentaires sous cette vidéo, j'ai hâte de les lire et de vous retrouver la semaine prochaine pour partager avec vous mes plus récentes découvertes ferroviaires.
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