La Saga des nez cassés
(1/2 : les séries BB)
La Saga des nez cassés (1/2 : les séries BB)
Transcription :
Un petit conseil de lecture cette semaine dans Aiguillages. Ludovic Battestini vient de sortir aux éditions La Vie du rail le premier volume d'une saga consacrée aux Nez Cassés, ces locomotives électriques et diesels-électriques qui ont été construites par Alsthom du milieu des années soixante aux années quatre-vingt et qui ont roulé un peu partout en France, mais aussi à l'étranger. Le Tome 1 est consacré aux séries BB, il vient de paraître, le 2 le sera aux CC, il sortira dans quelques semaines. Je vous propose donc de parcourir ensemble ce premier volume qui permet d'en apprendre un peu plus sur trois séries de machines, les BB 7200 à courant continu, les BB 15000 monophasées, et les BB 22200 bi-courant.
Et il est grand temps de s'intéresser à ces séries de machines puisque l'on peut encore avoir la chance de les observer en activité, mais qu'elles se font de plus en plus rares et sont vouées à disparaître à plus ou moins court terme. C'est ce que l'on va faire dans ce nouveau numéro. Bonjour et bienvenue dans Aiguillages !
Des nez cassés, Ludovic Battestini nous raconte qu'il y en a plus de 1000 qui ont été mises en circulation et ce sur les cinq continents, et c'est bien l'un des grands intérêts des recherches qu'il a mené pour écrire ce livre que d'en avoir retrouvé la trace dans de nombreux pays et d'en évoquer la carrière non seulement en France, mais aussi à l'étranger. Mais c'est bien dans l'hexagone, dans les usines d'Alsthom, que ces séries ont été conçues. Leur silhouette a été dessinée par le designer Paul Arzens qui a fait toute sa carrière au service de l'industrie automobile et ferroviaire. On lui doit le dessin de cette face frontale si caractéristique qui se voulait véhiculer une image de puissance, mais surtout de vitesse. Paul Arzens avait expliqué s'être inspiré pour la dessiner, de la position du sprinter dans son starting-block ou de celle du skieur prenant de la vitesse en descendant tout schuss les pistes enneigées. À la base, il est aussi parti d'une contrainte. Il fallait trouver une solution pour réduire les reflets que produisait le pare-brise des locomotives alors en circulation et ainsi apporter un meilleur confort de conduite. Une solution qui fonctionnait bien consistait à incliner les vitres frontales vers l'intérieur de la cabine. Il restait à partir de là, à esquisser le dessin de l'ensemble des lignes de la caisse. Paul Arzens fut aussi à l'origine des livrées que revêtiront ces machines lors de leurs mises en service.
Les premières machines de la série des nez cassés furent les 40100 en 1964, mais appartenant à la famille des locomotives de type CC, il nous faudra attendre le deuxième tome de la saga pour en reparler.
Pour ceux pour qui cela pourrait être utile, un simple petit rappelle sur ces dénominations « BB » et « CC ». Elles font référence au nombre d'essieux moteurs qui équipent les bogies des locomotives. Un bogie, c'est une sorte de chariot dans lequel sont fixés des essieux, c'est-à-dire un ensemble de deux-roues reliées entre elles par un axe transversal. Ces essieux peuvent être simplement porteurs, leur rôle est alors de mieux répartir le poids d'un engin ferroviaire, ou moteur, c'est-à-dire équipés d'un dispositif qui en permet l'entraînement. Le châssis des locomotives, des wagons de marchandises ou des voitures destinées aux voyageurs est ensuite posé sur deux bogies placés à chacune de ses extrémités. Il n'est pas rare qu'un type de bogie soit remplacé par un autre au cours de la vie d'un engin ferroviaire. Les BB 7200 par exemple ont pu être équipées au cours de leur carrière de bogies plutôt taillés pour la vitesse ou d'autres plus spécifiquement étudiés pour la traction de lourdes charges, des trains de marchandises qui roulent par définition beaucoup moins vite, et ce, en fonction de l'évolution des besoins au cours des années. C'est le rapport d'engrenage qui était dans ce cas modifié, autorisant la charge, mais pas la vitesse, ou l'inverse. Dans l'industrie ferroviaire, le bogie, c'est toute une science qui de tout temps a fait l'objet de multiples recherches pour obtenir les performances désirées. Il existe par conséquent de nombreux modèles. Pour les locomotives modernes, les deux familles les plus couramment rencontrées sont celles disposant de bogies de type BB, dotées de deux essieux moteurs ou CC en ayant trois.
Le livre de Ludovic Battestini dont je vous parle aujourd'hui est organisé en quatre grandes parties, la première est consacrée aux locomotives prototypes qui ont servi à la mise au point des différentes séries de machines BB électriques appartenant à la famille des nez cassés.
La première des locomotives présentées est la BB 7003, qui a été obtenue à partir de la modification d'une BB 15000 pré-existante. Elle a vu le jour dans les ateliers d'Alsthom à Hellemmes, dans le nord de la France dans le courant de l'année 1974. Les modifications ont consisté à la doter de deux pantographes pour capter le 1500 volts, d'un nouveau type de disjoncteur adapté au courant continu et d'un pupitre de conduite modifié. Elle débutera ses essais en 1975. Ceux-ci se poursuivront jusqu'en 1983. Pendant un court laps de temps, elle renoncera même temporairement, mais sur l'une de ses deux faces seulement, à son nez cassé, au profit d'un carénage qui annonçait bien avant l'heure l'avènement des locomotives Sybic qui allaient venir les concurrencer plus tard. L'un des faits d'armes de la BB 7003, c'est qu'elle fut envoyée aux Pays-Bas pour y réaliser des essais qui s'avérèrent convaincants. L'équivalent de la SNCF dans ce pays passa commande à Alsthom d'un ensemble de 58 machines qui reçurent l'appellation Série 1600. Ce prototype servi également à réaliser d'autres essais, qui permirent la mise au point des séries 7200 et 22200 et plus tard à valider les équipements des premiers TGV PSE, Paris-Sud-Est. Par la suite, elle retrouva sa configuration d'origine et assura des trains commerciaux réguliers pendant une dizaine d'années, avant d'être rappelée aux ateliers d'Héllemmes pour y subir une nouvelle série de transformations. Début 1983, elle devint la BB 10003 après avoir reçu de nouveaux moteurs de traction, dits asynchrones, des équipements relevant de l'électronique de puissance et un nouveau type de bogies. L'objectif de la SNCF et d'Alsthom était de mettre au point un nouveau type de machines diesels-électriques qui porteraient le numéro de série BB 73000, mais en raison de restrictions budgétaires cette piste ne put aboutir. Fin 1986, la BB 10003 fut mise de côté. Elle ne ressortira que quatre ans plus tard pour servir à mettre au point les équipements des futurs TGV Transmanche, les Eurostar, et pour cela, elle fut transformée en locomotive tricourant. Cette vie de locomotive d'essai s'acheva en 1993. La BB 10003 sera garée de nouveau plusieurs années en attente d'une nouvelle affectation. Finalement, en 1998, elle redevint une locomotive de la série des BB 15000 presque comme les autres en retrouvant son numéro d'origine le 15007.
Une autre locomotive de la famille des BB 15000 fut transformée en prototype. La BB 15055 qui devint ainsi la BB 10004.
Il s'agissait parallèlement à la BB 10003 dotée d'un moteur asynchrone, de tester sur un autre engin une motorisation synchrone auto pilotée. Les essais commencèrent en 1982 et se révélèrent très vite tout à fait satisfaisants. La technologie mise à l'épreuve sur ce prototype fut déployée sur les BB 26000 dites Sybic. Avant de redevenir la BB 15055, cette machine servit encore à mettre au point la motorisation des motrices du TGV Atlantique.
Enfin, deux autres BB de la famille des nez cassés furent également transformées en prototypes.
Mais il s'est agi cette fois-ci de la transformation de BB 22200, les 22379 et 80 qui furent rebaptisées 20011 et 12, après avoir reçu de nouveaux bogies, de nouveaux moteurs de traction, et des équipements relevant de l'électronique de puissance. Le but étant de poursuivre des essais devant conduire à finaliser la mise au point des locomotives de type Sybic. La BB 20011 fut à son tour envoyée aux Pays-Bas, mais l'opération séduction n'aboutit pas cette fois-ci. La mission de ces deux prototypes prenant fin au début de l'année 1990, ces deux machines retrouvèrent leur numérotation d'origine.
Le premier tome du livre « La saga des nez cassés » se poursuit avec la présentation détaillée des trois grandes séries de locomotives de cette famille.
D'abord les 7200, les BB à courant continu. Les premières arrivent en 1976. Elles sont numérotées de 7201 à 7235. Ce qui les caractérise c'est leur montage sur des bogies taillés pour la grande vitesse, 160 km/h à l'époque. Elles sont affectées au dépôt de Villeneuve-Saint-Georges en région parisienne, à partir de laquelle elles assurent des trains vers Sens, Laroche-Migennes et Dijon. Quelques mois plus tard, elles pousseront beaucoup plus loin vers Lyon, Dôle, Saint-Etienne, Chambéry, et même Marseille. Sur le parcours entre Paris et la capitale phocéenne, elles reprendront même aux célèbres CC 6500 le service du Mistral. Une deuxième série de ces machines fut livrée en 1978. Numérotées 7236 à 7280 elles rejoignirent également le dépôt de Villeneuve-Saint-Georges. Cette nouvelle série arriva avec une innovation améliorant le confort des conducteurs. La cabine fut agrandie de quelques centimètres afin d'y installer un siège fixé au sol, à la place des tabourets jusque-là en usage. Une troisième vague déferla en 1980 et 81. Les BB 7281 à 7342 arrivèrent à leur tour au dépôt de Villeneuve. Les deux années suivantes, ce fut le tour des BB 7343 à 7380. Conçues pour le fret, elles arrivèrent avec un nouveau type de bogie adapté à cet usage. Enfin, la série sera complétée avec les BB 7381 à 7410.
Il y aurait encore beaucoup de choses à vous raconter à propos de cette série de locomotives, mais je vais réserver ça à une autre vidéo sur cette chaîne, pour garder un peu de temps dans celle-ci pour vous parler de la carrière des sœurs de ces machines conçues pour des réseaux étrangers.
C'est en effet l'un des grands intérêts du travail de Ludovic Battestini que d'avoir étendu ses recherches à l'étranger. Aux Pays-Bas, les BB 7200 d'Alsthom, deviendront les séries 1600, 1700 et 1800. Au Maroc, elles seront connues sous le nom de E 1300 pour le trafic voyageur, et E 1350 pour le fret. Au Brésil, elles auront la particularité de devoir circuler sur des voies à l'écartement métrique. Cela donnera naissance aux EC 362.
Deuxième série de locomotives de type BB au nez cassé, les BB 15000 monophasées.
La France ayant d'abord électrifié son réseau ferré en 1500 volts courant continu, opta par la suite pour le 25000 volts courant alternatif, en particulier dans les régions Nord et Est. Il fallait par conséquent concevoir des machines adaptées, capables d'assurer aussi bien de lourds trains de fret, que des rapides devant pouvoir atteindre les 200 km/h. C'est sur la base de ce cahier des charges que furent conçues les BB 15000 dont Alsthom commença la construction à Belfort dès 1968. Soixante-cinq de ces machines seront commandées. Elles étaient les premières à utiliser une toute nouvelle technologie à l'époque. Ce sont des thyristors qui se chargeaient de régler l'intensité du courant envoyé dans les moteurs, en lieu et place des rhéostats qui équipaient jusqu'alors les locomotives électriques. Les premières machines de ce type furent affectées au dépôt de Strasbourg. À l'étranger, des machines proches des BB 15000 furent produites pour le Portugal. Elles constituèrent là-bas les séries 2600 et 2620.
Dernière série de nez cassés dans la famille des BB, les 22 200, des locomotives bicourant.
7200 + 15000 = 22200, d'où la série dans laquelle ces nouvelles machines ont été numérotées, car elles sont capables de rouler sous 1500 volts courant continu comme les BB 7200, et sous 25 000 volts courant alternatif comme les BB 15000. L'électrification du réseau ferré français continuant de se développer et les deux tensions en vigueur dans le pays ayant de plus en plus d'occasions de se côtoyer, la SNCF avait besoin de faire grossir son parc de locomotives bicourant. Plusieurs machines existaient déjà dans cette catégorie, mais elles se caractérisaient par un manque de puissance. Les BB 22200 furent construites sur la base des BB 15000, en en reprenant le moteur, qui était complété par un transformateur capable de convertir le 25000 volts alternatif, en courant continu et en plaçant en toiture deux pantographes orientés dans le même sens destinés à servir pour l'un sous 1500 volts, et l'autre 25000. 205 de ces machines furent commandées et livrées à la SNCF en couleur gris béton. En fonction des différentes affectations qu'elles reçurent par la suite, on pu voir des BB 22200 revêtir d'autres livrées : Fret, Multi-service, Carmillon, En voyage, Infra, Transilien, et même Ouigo ! En revanche, aucune de ces machines n'a eu de descendance à l'étranger, étant donné que la coexistence des deux types de courants 1500 et 25000 volts à laquelle elles apportent une réponse, est une situation propre à la France.
Je n'ai évidement pas épuisé le sujet au cours de cette vidéo, vous trouverez une foule de détails supplémentaires dans le livre de Ludovic Battestini auquel je vous renvoi. Il s'appelle la Saga des Nez Cassés, je vous en ai présenté le Tome 1 qui vient de sortir aux éditions La Vie du Rail. Dans les semaines à venir, je vous présenterai de façon plus détaillée les trois séries évoquées dans ce numéro. D'ici là, vous pouvez me dire en commentaire ce que l'une ou l'autre de ces machines évoquent pour vous, me raconter vos anecdotes autour d'elles, et en attendant que le deuxième tome consacré aux séries CC soit disponible, je vous propose de regarder cette autre vidéo qui est consacrée à la toute première série de nez cassés qui a vu le jour, les CC 40100.
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